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12 déc. 2017 - 12:30

La Santé d'un Cheval Mécanique

Auteurs:
Smirt, Cassiopée

Grandes Lignes:
Une équipe de scientifiques ambitieux dirigée par l’ingénieure Nadia Brasva partent à la découverte d'une région irradiée où les flux magiques sont perturbés. Entre la brume magnétique qui brouille les radios et provoque des rhumatismes à leur cheval cyborg bon marché, ils sont forcés d'engager Bach le Puissant pour les protéger des hordes de bandits qui ont fait de ces routes abandonnées leur refuge. Ils ne savent pas encore que Bach est un scam-artist, ni qu'un cyborg en fuite va les rejoindre, suivi de près d'une Tengu chasseuse de prime.


Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6

Cassiopée joue :
Gabriella Porti,Nadia Brasva, Patricia Celleron, Karl Flosh et le Frère Prumol.

Smirt joue :
Shawn, Ioshi, Bachuus Kamisol, Torpède, Mehdi Abd-al Kader.

Principes d'écriture :
Une fois d'accord sur la trame de base, nous avons créé les personnages susceptibles de convenir ou contrarier le récit. Dans une discussion libre sous skype, nous leur donnons du caractère, chacune ajoutant les petits éléments qui leur donnent de la chair.
Ceci fait, mais non clos, nous écrivons chacune à notre tour en introduisant les personnages comme bon nous semble. Cette écriture est pratiquée sur un document partagé. Nous écrivons selon l'inspiration du moment sans nous occuper du nombre de mots, très librement. Quand l'autre découvre le nouveau paragraphe ajouté, elle peut apporter des réponses supplémentaires ou même modifier certains passages afin de mieux coller au personnage qu'elle maîtrise. L'autre accepte en général, mais il peut y avoir discussion en cas de désaccord.
Travailler ainsi nous plait bien. Chacune garde son caractère mais le mélange des deux construit l'histoire et l'enrichit.
Peu importe qui poste les nouveaux chapitres, ils ont dans tous les cas été écrits à deux.


Dans ton dos avec un beanie, un hamburger et un fusil.
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Message posté le 12:32 - 12 déc. 2017


Chapitre 1


C’est pratique, cette région irradiée. Elle n’est plus à personne.
Les villages, les prairies, les granges sont encore fournies en grain, les maisons sont meublées, les étagères jonchées de nourriture en conserve. Il y a bien une odeur bizarre, il faut l’admettre et le brouillard au soir est parfois étrangement épais, presque bleuâtre. D’après les habitants avoisinants, cette brume fiche en l’air presque toutes les formes de magie. Elle siphonne les batteries électriques comme organiques et brouille les communications radio. À haute dose, ce serait comme du poison. La région entière a été évacuée, une ville autrefois très peuplée devenue fantôme. Les autorités ont balisé et condamné toute la région, 134 hectares de pays déserté où tout est à qui prend. C’est infesté de bandits.
Et puis il y a Bach. Bach Le Puissant. C’est son terrain de jeu maintenant. Son gagne-pain. Il n’a que faire des bandits, lui. Il lui suffit de soulever son épée hydrocarbure, qui fait le poids de deux petites femmes dodues, pour les dissuader de se mêler de ses affaires. Il faut dire qu’il impressionne avec sa taille hors du commun et ses muscles. Et cette épée! Autrefois, elle avait le pouvoir de court-circuiter tous les électroniques dans un rayon de cinquante mètres. Et cela inclut les armes intelligentes, les poumons électriques et les parts de cyborgs. De quoi décourager pas mal de gredins.
L’épée trône à présent sur le toît d’un chariot bourré de technologie opéré par sa dernière clientèle, une équipe étrange de scientifiques enthousiastes apparemment tout prêts à étudier les radiations. Quels innocents. Des fêlés, en soi. Peu importe. Ils ont avec eux de quoi revendre pour un millier de deniers en électronique, en plus de la seconde moitié de la somme qu’il a demandé à être payé pour les escorter.... Un générateur tout neuf, deux filtres à eau impeccables, une quantité d’ordinateurs qu’il n’a pas encore pu compter, une carabine de collection aux mains d’un ingénieur (du gâchis! Qui équiperait un ingénieur d’une arme de cette valeur?) et un cheval mécanique seconde génération qui ne vaut presque rien mais dont il pourrait revendre des portions et les matériaux bruts.
C’est ce que rumine Bach assis avec son épée sur le toit du chariot d’où il observe allègrement les bois et surveille son fidèle canin marchant devant eux sur la route presque entièrement reconquise par les herbes.
“Torpède!” s’exclame-le guerrier massif. Un bipède à tête de Berger Allemand se retourne, bâton sur l’épaule.
“Oui, Bach?!” répond-Torpède le Canusapien avec enthousiasme.
“Ne marche pas trop loin devant, le cheval faiblit.” avertit-Bach d’une grosse voix.
“Entendu, merci!” dit le chien en ralentissant. Ils ont dû s’arrêter deux fois déjà pour réparer ce cheval de mes deux boules, pense-Bach, et c’est déjà bien parti pour une nouvelle panne.


***



Pour la quatrième fois de suite Nadia Brasva use de toute sa science pour revisiter les circuits imprimés de ce canasson bon à rien. Quatre fois qu’elle ne constate aucune défaillance. La panne de l’animal doit provenir des roulements eux-mêmes. En soupirant, elle regarde Mehdi Abd al-Kader, mais son collègue reste le bras ballants à ses côtés. Il n’essaye même plus de faire semblant ! Qu’avait-elle besoin d’être encombrée d’un tel fardeau ?
De mauvaise humeur, elle aperçoit déjà la brume se déverser des sommets.
-Dis-donc Medhi, Je crois qu’on va devoir huiler les pistons des rotures et des tendons perforants. Je te laisse faire les pattes arrière ! Il va bientôt faire trop sombre.
Cette fois, elle ne lui a pas laissé la possibilité d’hésiter et lui flanque la boîte à outils dans les mains tandis qu’elle entreprend de démonter les plaques de protections des pattes antérieures. Medhi lève les bras et les relaisse tomber, exaspéré. On lui refile les postérieurs, bien sûr! Ceux qui donnent des coups de sabots frénétiques dès qu’il s’approche pour retirer les protections. Il grommèle sous sa barbe.
La clarté bleutée est soudain cachée par l’ombre immense de Bach qui se penche sur elle.
-Alors Mme l’ingénieure ? On va pouvoir avancer ? Je trouve que la brume descend bien vite ce soir.
Nadia lève le nez de son travail le temps de constater qu’aucune montagne environnante n’est désormais visible. Seul un lourd brouillard encore lointain semble se diriger droit sur eux.
Karl Flosh, un carnet à la main et qui surveille l’évolution de la réparation depuis l’arrêt de la caravane, ajoute :
-Dans ses carnets, Meghan Tor précise bien qu’il faut se méfier des brouillards aux teintes violacées annonciatrices de tempête électrique. Vous ne trouvez pas que cette brume est mauve ?
Le groupe s’est resserré autour des deux ingénieurs concentrés sur leurs réparations et tous observent avec inquiétude le nuage qui grossit sur l’horizon. Est-il violet ?
-Pour moi c’est bleu, ça. dit-Bach d’un ton neutre.
-Dans la langue de Tor, “violet” désigne aussi bien les teintes de bleu que d’indigo que de violet, c’est la même chose! grommèle-Mehdi en essayant tant bien que mal de huiler l’animal furieux.
-Bon, j’ai fini ! s’exclame Nadia en jurant intérieurement après son collègue qui remonte seulement sa première patte. En voyant le brouillard violacé les rattraper, elle l’arrête avant qu’il ne poursuive sa réparation.
-Arrête ! On va devoir poursuivre ainsi. Il faut se mettre à l’abri rapidement !

Elle remet le contact du canasson et lui tape sur le cul.
-Allez mon gros ! Va falloir montrer ce que tu as dans le ventre.

Au contact manuel, le cheval décuple la force de ses protestations et frappe l’air des sabots derrière lui, un beaucoup plus haut que l’autre. Il fait du sur place, apparemment très vexé qu’on ait osé lui couper le contact, menaçant Nadia de ses cornes de démon.

-Au moins, on a trouvé d’où venait sa lenteur extrème !
Mehdi s’essuie le front, à bout de souffle et pas rassuré: “J’avais dit qu’il fallait au minimum 3000 deniers sur la monture! Je l’avais dit! Cette mule de l’enfer a failli me tuer deux fois en une minute.”
Bach frappe dans les mains au-dessus de leurs têtes à tous et beugle: “Ta gueule et remballe tout, c’est trop tard ! Le brouillard est sur nous! Tout le monde à l’intérieur ! Torpède, ici ! !”
Mehdi extirpe la bâche sous le pare-choc du chariot destinée à emballer le cheval pour le protéger de la brume ambiante, fébrile, trébuchant dans l’action, il en jette l’autre extrémité à Nadia. Bach la lui arrache des mains, finissant de saucissonner le canasson avec Nadia qui sait ce qu’elle fait, pour aller plus vite. Pendant ce temps, Mehdi rampe sous le chariot pour débrancher la bête et lui éviter de cramer pendant la tempête.
Le groupe loge à l’intérieur du chariot quand ils n’ont pas de village en vue. Il faut avouer que ce véhicule est au coeur de la motivation de Bach pour escorter ce groupe de cinglés. Ils ont liquidé leur budget entier dedans. C’était déjà un modèle de taille à 9000 deniers d’occase avec des roues à chenilles, des suspensions tout-terrain mais ils y ont greffé une plateforme supplémentaire à l’arrière pour inclure des couchettes et tous leurs ordinateurs, dédoublant l’espace et donnant à cette machine l’aspect d’un bus renforcé plus qu’autre chose. Les chenilles sont neuves, en plus. Une fortune. Et ils peuvent tous y entrer sans trop se pousser. Pas étonnant que le cheval fasse grève un jour sur deux.
-On se dépêche, les enfants! C’t’une grosse qui nous tombe dessus!! Gueule-le guerrier en enfilant son immense anorak de protection et son foulard à filtre. Il le sait à l’odeur de rouille qui accompagne la brume et qui descend pesamment des forêts jusqu’à eux. Cette fois ils ont intérêt à éteindre tous leurs ordinateurs. L’odeur de circuits brûlés au réveil, tout le monde s’en passerait.
Torpède enfile sa combinaison de même. Bach attend dehors poings sur les hanches que tout le monde soit entré en sûreté. L’humidité augmente rapidement. Il sent les petites piqûres d’électricité sur ses doigts. Le cheval mécanique s’est mis en veille, immobile sous sa bâche, devenu la silhouette d’un fantôme grotesque.
Quand tout le monde est à l’abri, Torpède et lui grimpent sur le toît du chariot pour s’y poster. Clairement, ce n’est pas son scénario de rêve mais d’ici ils ont une vue plongeante sur les environs au cas où quelque chose s’approcherait. Ils n’ont pas de lumière à ce poste. Il s’agit de voir avant d’être vu et notamment d’entendre. Pour ça, le Canusapien, avec ses oreilles larges comme les palmes de sa main, est au poil, pense-Bach en souriant sous son masque.

En règle générale ces tempêtes sont d’un calme plat. Les bandits préfèrent se réfugier entre quatre murs que de souffrir d’infâmes crises de rhumatismes cybernétiques dans ces moments. De ce point de vue, la route est encore plus sûre durant la venue de la brume que pendant le reste de la journée sous un ciel dégagé. Bach le sait bien. Mais il a bien compris le caractère de son chien, qui sort tout droit d’une caserne militaire, et pour l’impressionner et conserver sa confiance totale, le guerrier se doit d’appliquer les protocoles à la lettre. Ils sont donc blottis l’un contre l’autre, allongés sur le ventre en sens inverse pour couvrir leurs bases. Bach est muni d’une carabine automatique et Torpède d’un fusil de chasse dont il ne se sert pas très bien et pour lequel Bach possède très peu de cartouches mais qui surprendrait un intru en premier.

Au bout d’une heure, il fait complètement noir et Bach somnole, la joue sur la crosse de son arme. Il ne fait pas tellement froid et ce n’est pas difficile de se reposer même allongé sur une plaque de métal.
“RRRRrrrrrrr…” entend-il à côté de lui, en direction de ses pieds. Ça le réveille. Il remue et se tait, à l’écoute. Il n’entend rien, ne voit rien. Une minute passe.
“RrrrrrrRRRRRRrrrrr…!” gronde-le chien à nouveau du fond de sa gorge. Un bruit assez impressionnant.
-Humain ou bête? chuchote-Bach.
-Bipède.
-Combien?
-Un seul. Six heures.
Bach remue le plus discrètement possible pour se tourner dans le même sens que le chien mais le grincement des anoraks est difficile à couvrir.
-Il nous a vu, déclare Torpède.
Bach enclenche le projecteur sur sa carabine en se levant pour la pointer dans le brouillard et s’écrie: “Pas un pas de plus!”
La lumière encercle, dans la brume bleue épaisse, un individu encapuchonné à la tête baissée se tenant à une dizaine de mètres du chariot.
-Pourquoi tu l’as laissé s’approcher aussi près? Grommèle-Bach à voix basse.
-Heu… Il s’est déplacé vite, s’excuse-le chien, perplexe.
-Mains en l’air! lance-Bach.
L’homme à capuche s’exécute, la tête toujours baissée. Bach repère une longue dague à sa ceinture.
-Jette ta dague par terre, loin de toi, vers le chariot! Lentement! … Le fourreau avec, une seule main!
L’intru baisse une main pour détacher la dague de sa ceinture en s’efforçant de garder l’autre levée. Ses gestes sont imprécis comme s’il ne sentait pas ses doigts. Il doit s’y prendre à plusieurs fois.
-Dépêche-toi, tonne-Bach.
Enfin la dague finit dans l’herbe près d’une des roues du chariot et ses deux mains retournent dans les airs, où il a dû mal à les garder.
-Qu’est-ce que tu veux? interroge-Bach, plus à l’aise.
-Refuge… Pour la tempête, répond-l’intru en articulant mal.
-Nan, dégage.
-S’il-vous-plaît… Juste une heure.
-T’as de quoi payer ta place?
-La dague.
-Elle est déjà à moi, t’as des deniers? Coupe-le guerrier.
-Je n’ai rien...
-Fiche-le camp. Fais marche arrière et vas-t’en!
L’intru a de plus en plus de mal à garder les bras levés mais il ne recule pas. Il plie un genou sous l’effort puis l’autre et s’agenouille par terre, s’appuyant d’une des deux mains sur le sol.
Bach saute du chariot d’un bond, ce qui a pour effet de secouer le chariot tout entier sur ses suspensions à ressorts. Il ramasse la dague et la boucle à sa ceinture.
-Je te jure que si tu te ne casses pas, je vais te descendre, menace-t-il à l'égard de l’intru apparemment épuisé.

L’inquiétude a gagné les occupants du chariot qui se regardent mutuellement espérant trouver dans les yeux du voisin la solution à cette intrusion.
Nadia comme à son habitude se sent emprunte d’une responsabilité vis à vis du groupe et se penche pour en voir plus.
L’homme à terre a l’air vraiment mal en point. Elle peut presque palper sa perte de vitalité. Il a le visage camouflé par un foulard mais ses yeux sont devenus blafards. Cette teinte blanchâtre la stimule et elle saute du chariot pour surgir devant l’arme de Bach tout en faisant face à l’intrus.
-Attends un peu, Bach, je voudrais vérifier quelque chose.
Nadia se baisse sur l’individu et arrachant le foulard elle découvre un visage plutôt jeune et beau qui respire avec difficulté. Elle lui passe la main sur la base de la nuque sans rien trouver. Alors, se concentrant intensément, elle le palpe au travers de ses vêtements relativement moulants jusqu’à trouver ce qu’elle cherche à proximité du sacrum. La sensation est légère et le toucher à peine perceptible mais elle peut sentir le délicat replat dû au greffon.
-C’est bon, t’as fini de le tripoter? Interroge Bach, quelque peu agacé par cette intervention.
-Tu peux baisser ton arme Bach. On ne risque plus rien. Cet homme est à plat. Totalement à plat.
Nadia ne rajoute pas que l’homme est un cyborg. Elle n’a pas envie que le cupide Bach en profite pour le démonter. D’ailleurs, elle est bien certaine qu’aucun autre membre de l’expédition, pas même son alter ego masculin, n’a pu s’en apercevoir. Il faut avoir vécu l’expérience des Forges de Samotras pour le découvrir. Elle a gardé de son passage dans le centre sacro-saint de l’unique Firme spécialisée dans la création de cyborgs humains un sentiment d’appartenance. Un lien presque charnel lui fait ressentir les défauts d’une pile turbodermique. Et ce ne sont pas les maigres connaissances de Meddhi qui sauraient les détecter.
Bach boude mais il n’ose s’opposer à Mme l’Ingénieur. Il n’oublie pas que c’est elle qui tient les cordons de la bourse. Bourse purement virtuelle et qu’il ne peut dérober sans pénétrer sur un de ses ordinateurs dont il n’a aucune clé.
Comme Nadia le convie à l’aider à porter le malade, il grogne en commençant par le fouiller de haut en bas, plongeant une main ici et là sous ses vêtements. Aucune portion de peau synthétique n’est visible, confirmant le diagnostic de Nadia : c’est bel et bien de la cyborganique. C’est rare.
-T’oublies qu’il n’y a que des bandits dans ces bois. S’il est ici c’est qu’il a une raison. Torpède ! Monte avec eux dans le chariot pour garder un oeil dessus. S’il ne devient qu’une ombre de menace, tu mets fin à ses beaux yeux. Et par-là j’veux dire “tu le tues”. Faudrait pas qu’il arrive des emmerdes à madame… grommèle-Bach en plissant des yeux vers Nadia sous son masque.
D’un seul bras il hisse le malade comme un sac de patates à bord du chariot.
-Vous avez été prévenus. S’il arrive quelque chose à mon chien c’est à vos frais. C’est dans le contrat. Précise-t-il.
Le reste de son discours se perd dans un grésillement qui les précipite à l’intérieur.
Nadia pousse gentiment Gabriella Porti pour faire une place entre elles deux. Gabriella ne dit rien, elle regarde le nouveau venu l’air perplexe. Celui-ci est à peine debout un instant. Il s’effondre de sommeil entre elles deux, le visage écrasé sur son propre genou dans une position improbable, incapable de tenir les yeux ouverts plus longtemps.
-Il n’a pas l’air bien en point. Ajoute-t-elle.
-On va le laisser un peu tranquille à l’abri du chariot qui nous protège bien des effets électromagnétiques. Il fait office de cage de Farfaday, ça a vraiment été un bon achat.
Gabriella lui prend le pouls pour constater qu’il bat faiblement mais que ses fonctions vitales ne sont pas atteintes.
-Et s’il se réveille d’un coup ? Dit-elle. On ne le connaît pas, C’est peut-être un danger public !
Torpède se glisse à son tour dans le chariot équipé seulement de sa hache. Le reste de son attirail ne lui servirait pas dans un espace serré comme celui-ci. Il se pose où il y a de la place.
-Ne vous inquiétez pas. S’il est dangereux, je suis formé pour intervenir. J’ai travaillé dans les forces de l’ordre, déclare-t-il fièrement, heureux d’être là et de servir à quelque chose.
Mehdi dévisage le nouveau venu avec appréhension.
-Pourquoi vous l’avez fait entrer? C’est quoi son problème? Demande-t-il, plus inquiet pour eux que pour l’inconnu, il tord le cou pour observer sans devoir plus s’approcher. “Il fait quoi, il dort? … Comme ça?”
Le chariot remue faiblement, signe que Bach a repris sa place sur le toît.
-Il était seul, répond-Torpède tout désireux d’aider en apportant son expertise. “C’est compliqué de trouver le sommeil quand tu n’as pas un compagnon pour prendre la garde, surtout dans un coin tendu comme celui-ci. Une meute serait l’idéal.” dit-il en posant une fesse sur un tabouret, mains sur les genoux. “Je peux m’asseoir ici?” demande-t-il en prenant soin de ne rien toucher, rangeant sa queue poilue qui bat d’excitation derrière lui.
Mehdi se rassied, les sourcils plus que froncés par ce changement de situation déroutant.
-... Il va se réveiller avec un torticolis de sa mère… commente-t-il en rangeant précieusement ses lunettes de soleil dans une poche , de peur qu’elles ne tombent du haut de sa tête à l’occasion. On ne sait jamais.
-Il ne vous dérange pas là? Je peux le déplacer si vous voulez, propose-Torpède aux femmes entre qui l’inconnu est jonché. Il ne les a pas vues y placer le malade elles-mêmes une minute plus tôt et suppose que Bach l’a fait atterrir à cet endroit, basé sur sa position de poupée désarticulée.
-Et si… Et si c’était une ruse? Je veux dire… On a une tonne de deniers en matos et on laisse entrer un étranger dans le chariot comme ça, c’est pas un peu impulsif?? Laisse-entendre Mehdi. “C’est un peu comme les mendiants sur les routes, t’en as un qui fait le malade et puis le reste te tombe dessus, moi ça me met pas vraiment à l’aise!”
Torpède considère cette possibilité. Il s’accroupit près de l’inconnu avec sa hache en main. De l’autre il lui secoue vigoureusement l’épaule: “Hey.”
L’inconnu ouvre les yeux avec difficulté, confus et replonge immédiatement dans le sommeil après s’être fait ballotté.
-Bah il fait plutôt bien semblant si c’est une supercherie, constate le chien, qui lui retrousse une manche et s’applique à graver une entaille légère mais lente de la pointe de sa hache sur son avant-bras.
L’inconnu met du temps à réagir. Il est immobile jusqu’à la fin de l’entaille, un peu plus profonde, à laquelle il se réveille en sursaut. Il retire son bras d’un coup, se cogne le coude à la paroi du chariot, une expression de frayeur sauvage sur le visage quelques secondes avant de sombrer à nouveau.
-Haha, nan, ce mec n’est pas en forme. D’ici à ce qu’il récupère, il n’y a pas de soucis à se faire, déclare-Torpède en s’éloignant pour le laisser tranquille.


Dans le fond du chariot, coincé entre le caisson de vivres et le boitier à médecines, rumine le seul membre de l’équipe qui ne parle jamais à Bach le Puissant. Comment un homme de foi tel que le frère Prumol aurait-il pu s'acoquiner avec la lie de l’humanité qui ne pense qu’à verser le sang ? Pourtant l’évènement lui remue les tripes. Il regarde ce pauvre naufragé avec l’air le plus malheureux de la terre.
Tout d’un coup, n’y tenant plus Il se lève d’un bond et prend à partie la seule personne qu’il peut considérer comme sensible et humaine parmi cette bande d’hérétiques à qui il est lié dans cette expédition :
- Patricia, tu ne peux pas laisser faire ça ! Toi, si sensible à entendre l’homme ! Toi qui passes ton temps à les étudier, tu ne peux pas laisser tuer un pauvre ère de cette façon !
Sa voix est montée dans les aigus pour prendre une ampleur qu’il ne parvient d’habitude à maintenir que dans ses sermons. Il continue son discours en s’adressant à tous avec une verve qu’il n’a jamais utilisée depuis leur départ.
Patricia Porti la sociologue du groupe en est toute retournée, tandis que le géographe pique du nez se sentant penaud. Elle sort son appareil photo et immortalise l’homme inconscient dans sa position de danseuse contorsionniste.
Torpède les regarde tous les deux avec effarement avant de pointer la photograhe du doigt:
-C’est légal, ça? Attention, s’il veut pas de sa photo, tu risques des ennuis. Ces bois sont vraiment mal famés.
Nadia regarde Le Frère Prumol avec étonnement, elle ne l’aurait jamais cru capable de défendre sa cause...
Medhi, toujours aussi peu convaincu du bien fondé d’accueillir un inconnu dans leur rang sans le connaître, suggère :
-On pourrait peut-être l’attacher ? Comme ça, s’il se réveille, il ne nous sautera pas dessus.
Il ajoute en secouant la tête vers le missionnaire du Temple de la Fourche :
Et on aura fait une bonne action en ne jetant pas ce gars mal en point sous l’orage électromagnétique !!
Sitôt dit, sitôt fait. Il s’empare d’une bobine de fil électrique et tente tant bien que mal à attacher les deux mains de l’intrus ensemble. Nadia ne donne aucun signe de vouloir l’aider aussi grogne t’il en ses dents un juron quand il doit dégager son bras gauche tordu pour l’assembler au droit. L’homme est plus lourd qu’il n’y parait au premier abord.
Le chien est ébahi et embarrassé, regardant tout à tour l’ingénieur basané, le frère Prumol livide et la photographe en état de choc. Il s’agenouille soudain près de Mehdi:
-Comme tu le fais il va s’échapper en un rien de temps! C’est pas comme ça que t’attache quelqu’un, dit Torpède en lui prenant la ficelle des mains. Avant d’attacher le suspect, il le tire doucement par les pieds pour lui donner une position plus confortable sur le sol. Il essuie le sang qui a coulé de son bras d’un chiffon, asperge la plaie d’une petite bouteille d’alcool en spray qu’il porte partout avec lui dans une de ses poches de veste, termine les soins en appliquant un bandage adhésif. C’est fait avec propreté, si ce n’est pour les poils de chien.
-Vous avez raison, frère Prumol, déclare-le mercenaire. “S’il est mal intentionné, autant ne pas lui donner plus de raison.”
Il remonte la manche de l'inconscient jusqu’au-dessus du coude qui avait cogné contre le mur plus tôt pour vérifier son état, mais l'ecchymose qui s’y trouve ne requiert pas d’intervention médicale. Il tire les manches à leur place et lui met les mains l’une contre l’autre pour les attacher entre elles puis à sa ceinture pour vraiment limiter ses mouvements. Ce chien a l’air d’avoir ligoté des bandits toute sa vie. Quand il a fini, il l’éloigne des deux femmes pour l’allonger à l’autre bout du chariot, aussi loin que possible des occupants. Se faisant il prend soin de ne le cogner à rien et le fait si bien qu’il ne le réveille pas. Il prend son pouls une dernière fois avant de retourner s’asseoir le tabouret qu’il pose entre eux et l’inconnu. Comme touche finale et après avoir jeté à nouveau un coup d’oeil à Mehdi, il couvre les yeux du suspect pour l’empêcher de voir ce que contient le chariot à son réveil.
-Voilà, dit-il, fier de son travail.
Mehdi semble à peu près rassuré, retourné s’asseoir mains dans les poches. Il regarde tour à tour Nadia et Gabriella l’air de demander ce qu’ils doivent faire ensuite, ce qui va se passer.

Soudain, un éclair violet zèbre le ciel sur toute sa largeur, dans la seconde suivante, le chariot subit une violente secousse qui les jette tous en avant. Torpède dévale de son tabouret en évitant de justesse de s’étaler sur son prisonnier. Le tonnerre n’est pas tombé loin !
Dehors on discerne quelques jurons de Bach qui remonte sur le toit d’où il a roulé. Il remue fébrilement au sommet du chariot, écrasant des morceaux de branches léchées de flammes violettes.
À son grand damme, Mehdi se redresse en apercevant ses lunettes de soleil loin hors de sa poche, propulsées contre un des ordinateurs. Elles sont un peu rayées.
-Oh mais nooonnnn!! S’écrie-t-il, dramatique.
-Tout le monde va bien? Interroge le chien en se relevant.
-Mes lunettes sont niquées...
Le mercenaire cogne au plafond pour interroger son collègue. Bach répond de quelques coups rapides. Tout le monde reprend sa place, accroché aux parois au cas où et d’autres éclairs se manifestent à distance, résonnant comme des tambours dans les bois. Les lampes grésillent et s’éteignent. C’est en effet une grosse tempête, silencieuse entre les coups de tonnerre, sans vent, sans pluie. Le chariot est caressé de millions de petites étincelles blanches qui se tortillent tout autour de Bach sans l’atteindre, lui qui est couvert de caoutchouc isolant. Il ne fait pas froid. Au contraire, toute cette électricité chauffe un peu. Quelques arbres au loin irradient et se mettent à fumer, victimes d’un flux. Le guerrier les voit illuminer la nuit à distance avant de masquer la route de fumée. Il n’y a rien à y faire. Les flammes violettes sont étouffées par le même flux toxique qui les a provoquées.


***


Dans ton dos avec un beanie, un hamburger et un fusil.
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Message posté le 12:36 - 15 déc. 2017


Chapitre 2


La tempête dure ainsi quelques heures et s’efface pour rendre le calme qui appartient à la nuit. Entre temps Mehdi a pris place sur sa couchette sous celle de Primol. Les aventuriers savent que la brume est repartie lorsque les lampes se rallument d’elles-mêmes.
Torpède discerne le bruit de la pression sur les ficelles avant de voir que son prisonnier s’est réveillé. Il saute du tabouret juste à côté de lui pour lui renifler les mains de la truffe. Ce dernier a les yeux grand ouverts mais ça ne se voit pas sous le foulard qui lui bande le haut du visage.
-Alors ça y est? Tu es réveillé? T’as pu dormir? Demande-le chien en battant de la queue, curieux.
L’inconnu se tortille vainement pour se dégager, incapable de se défaire des ficelles et n’a pas l’air enchanté d’être attaché.
-T’inquiètes, t’es pas notre prisonnier. C’est juste qu’on te connait pas, précise le chien, qui reçoit immédiatement un coup de botte fulgurant en pleine face qui le propulse contre une armoire.
-Karma... murmure-Patricia d’un ton vengeur à l’autre bout du chariot. Il est sonné.
L’intrus, apparement bien réveillé et en meilleure forme, remonte le foulard sur son front à l’aide d’un genoux, se dégageant la vue. Il les regarde, repère le chien, sa hache et bondit vers lui sans perdre de temps, sort la hache de sa ceinture, la cale entre son genou et son sa botte et tranche ses liens en quelques coups vifs sans faire attention s’il se coupe ou pas, les yeux rivés sur le reste des passagers. Il ne lui a fallu que quelques secondes. Libéré, il saisit la hache et recule debout dos contre la porte du chariot, fébrile, le souffle court.
Mehdi, pétrifié de peur, bouche ouverte, n’a même pas eu le réflexe de saisir sa carabine qui est posée là près d’eux, à portée de main. Il ne s’est jamais trouvé dans une situation nécessitant son usage.
L’inconnu a vu la carabine aussi, mais il y a quelques personnes entre lui et l’arme et personne ne bouge. Il reste immobile aussi, la hache baissée contre sa jambe, les dévisageant un à un. Il entend Bach remuer sur le toit et se souvient de leur altercation. Il calcule ses chances de survie et on voit ses yeux parcourir l’entièreté du contenu du chariot, qui semble le mettre mal à l’aise.
-Qu’est-ce que vous faites dans ce labo…? Des torpilles? … Un canal web de journalisme confédéré? Demande l’inconnu à tout hasard en flashant un bref sourire en coin. Il a aperçu l’appareil photo de Patricia. L’air incertain, il remonte le foulard sur son visage et rabaisse sa capuche.
Il a cette fausse impression d’aller mieux mais vu son état lors de cette tempête, la prochaine pourrait terminer de vider ses batteries et le tuer. Il ne le sait pas.
-Bon ben, ça a l’air de s’être calmé… Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps. Merci pour l’abri, salut… dit-il d’un signe de tête vers eux. Il voit le chien reprendre connaissance et cherche les verrous de la porte dans son dos pour partir en marche arrière, une oreille toujours tendue vers le toît pour Bach dont il se méfie bien plus que de ce groupe de personnes qu’il devine être tout sauf guerrier. Il y a beaucoup de verrous, il ne trouve pas sans regarder.
Torpède, à nouveau sur ses pattes, saisit un couteau de sa ceinture et se met en position de défense, prêt à se battre, posté entre les scientifiques et l’intru, ses grandes oreilles aplaties sur sa tête. L’autre fait de même, le dos un peu courbé, genoux pliés, la hachette dans une main et l’autre devant lui pour se protéger. Ils ont peu d’espace pour manoeuvrer. C’est une situation dangereuse qui peut facilement dérailler et se terminer avec des blessures fatales des deux côtés et ils le savent. Aucun ne fait de geste d’attaquer mais ils sont prêts à bondir ou à s’attraper et ne se perdent pas des yeux. Aucun des deux ne souhaite provoquer l’autre.
-Pose le couteau, ordonne l’inconnu d’un ton autoritaire.
Quelque chose dans ses mouvements et sa posture intrigue le chien, qui lèvelève une oreille, la rabaisse et puis l’autre.
-T’es un flic ou quoi? demande Torpède, interloqué, la lame levée vers son coude. “Tu bouges comme un zélotezélote à la dague, j’ai déjà vu ça aux casernes fédérales.”
Ils étudient sans s’avancer. Torpède fait quelques petits pas de côtécôté et l’autre mime son mouvement comme un miroir, sinuant tel un serpent, les réflexes rapides. Dans sa vision périphérique, Torpède aperçoit Mehdi qui s’oriente lentement vers sa carabine. Il intervient:
-Touche pas à cette carabine, Kader! On va régler tout ça à l’amiable si on peut, d’accord? Lance le chien, tendu mais habitué à ce genre de situation.
-Qu’est-ce que tu fais ici? T’es incognito? Pardon, je devrais pas demander, monologue-t-il à l’égard de l’intru. “Si t’es fed on est du même camp, j’ai bossé dans les forces de l’ordre. Ils sont sont légaux.” dit-il en montrant les scientifiques d’un geste de l'épaule. “Bach et moi les protégeons des bandits pour une expédition scientifique. À ma connaissance, ce ne sont pas des journaleux et ils sont réglo. On a même un prêtre.”
L’autre ne dit rien. Du peu de ce qui dépasse de sa capuche, il est terrifié.
-Tu t’appelles comment? T’es dans quel bataillon? Continue Torpède pour détoxifier la situation en citant son propre parcours de long en large. De toute évidence l’intru n’est pas venu pour les attaquer sinon lui-même ne se serait pas réveillé avachi contre l’armoire une minute plus tôt. Il ne se serait pas réveillé du tout. Cette situation ressemble à un malentendu.
-Arrête de parler et pose ce couteau, répète l’intru, exaspéré.
-Je le pose si tu me dis ton nom.
Un blanc bizarre de deux secondes durant lequel l’inconnu, sans y croire, s’invente probablement un nom.
-Shawn, dit-il.
Le chien, confiant, range le couteau dans sa garde à sa ceinture, boutonne la pochette. Shawn le regarde avec ébahissement, se demandant si le Canusapien est très con ou très intelligent. Ce dernier lui fait un signe de tête: “Tu poses ma hache.”
Après quelques secondes d’incertitude, Shawn s’abaisse pour lâcher la hachette près du sol devant lui.
-Balance-là vers moi, suggère Torpède joyeusement mais Shawn, au lieu de cela, pose un pied sur l’arme.
-Non.
-Euh!
-Vous avez ma dague. Je garde la hache, tranche-Shawn en posant les mains sur les verrous de la porte avec la ferme intention de l’ouvrir cette fois-ci. Il a eu le temps de réfléchir au mécanisme.
-Bah attends, on s’est même pas présenté! S’écrie Torpède presque déçu en faisant un mouvement vers la porte pour l’empêcher. “T’as dormi que trois heures, t’es sûr que ça va aller?”
Shawn le dévisage, le pied toujours sur la hache. De toute évidence il n’est pas ravi qu’on entrave sa sortie.
-J’ai pas l’argent pour rester, tu te rappelles? Fait-il remarquer d’un ton excédé, révélant qu’il n’a pas cessé de penser à la menace intitulée “Bach” qui existe au-dessus d’eux et qu’il est conscient d’avoir à éviter de potentiels coups de fusil s’il parvient à s’extraire de la cabine.
-Attends, ça c’est Bach mais on est sept ici à paaas tellement s’en faire pour une nuit de logement gratuit, hein. Pas vrai, mon frère Prumol ? Pour moi tu peux rester, même si tu veux pas me dire dans quelle section tu bosses, répond Torpède. “Puis je sais pas pourquoi tu te caches le visage, parce qu’on l’a tous vu tantôt, mais ça serait plus convivial d’enlever ta capuche si tu restes.” Le chien jette un regard aux autres pour s’informer de leur avis, battant de la queue joyeusement.
Il tend la patte à Shawn: “Moi c’est Torpède. Ces messieurs-dames ici sont là pour étudier les radiations. Ça fait longtemps que t’es dans le coin ?” dit-il en se tournant vers l’équipe de scientifiques, sentant que la réponse les intéresserait.
Shawn baisse les yeux sur la patte tendue, un peu surpris: “Trois semaines.” répond-il en la lui serrant, perplexe et regarde le reste des occupants de la cabine.

A l’arrière du chariot, les corps crispés durant l’altercation se détendent. Quelque soupir est exhalé discrètement pendant qu’une jambe s’allonge pour permettre au sang de circuler. Nadia sent qu’ils ne sont pas passés loin du drame. Elle ne sait trop ce qui aurait pu être le pire : La perte du cyborg ou celle du canusapien. Bien que celle du canusapien ait pu entraîner la leur, elle n’arrive pas à se retirer l’idée que la découverte d’un cyborg de cette qualité est leur plus belle trouvaille du jour.
Elle choisit ce moment pour rappeler à la troupe qu’elle est la chef d’expédition. Elle se lève en dépliant ses muscles engourdis par la tension et vient tendre une main longue et soignée à Shawn qui la serre, indécis :
-Je suis Nadia Brasva, ingénieure informaticienne spécialisée en sociopathie. Je suis responsable de cette expédition. J’avoue que votre intrusion dans le groupe me laisse un peu perplexe. Je vous aurais sans soucis accueilli pour la nuit sans que vous ayez besoin de nous violenter. Nous avons de bons gardes, comme vous pouvez le constater.
A présent j’aimerais que les choses soient claires entre nous. Nous ne sommes pas une quelconque émanation gouvernementale et notre entreprise n’est financée ni par la rébellion, ni par l’Etat. Il n’en demeure pas moins que notre expédition a des comptes à rendre. Elle a aussi les moyens de se défendre, je vous dis cela au cas où vous jugeriez bon d’entraver notre bonne marche.
Shawn lui serre la main, le regard fuyant.
-Je n’ai aucune intention de vous entraver, dit-il.
Sur ces mots, elle passe derrière le cyborg en le frôlant de près - Un contact délicieux à son goût de créatrice envieuse d’une telle création - Et ouvre la porte du chariot. Il s’éloigne subtilement à ce contact et la suit du regard, perplexe.
Aussitôt Bach saute du toit, les jambes écartées, l’arme au poing prêt à tirer.
Nadia poursuit l’air de rien, arborant l’air Hautain et supérieur du chef qui ne souhaite pas être contredite :
-Je vous invite donc à finir la nuit avec nous sous la bonne garde de Mr Kamisol.
-Bach le Puissant ! corrige la voix mécontente du guerrier qui préfère de loin son pseudonyme de renommée.

Dehors, la brume enveloppe toujours le paysage et on ne voit pas à trois mètres mais le gros des perturbations sont passées. Tout de même.

-Sale temps pour mettre un homme dehors dit Nadia.
-En effet, les tempêtes sont de pire en pire, répond Shawn. Je suis navré de vous avoir agressés, mais je…- Il hésite à poursuivre en donnant plus d’information sur lui, vraie ou fausse - Comme vous, je me méfie de ce que je croise dans ses bois.
Il ne leur fait pas plus confiance que cela, mais que peut-il faire d’autre entre un groupe qui semble l’accueillir aimablement entre quatre murs d’isolation et des tempêtes radioactives qu’il supporte de moins en moins.
-Inacceptable. Gronde Bach pour répondre aux propos. Je ne prends pas de parasites, si tu restes, tu paies ta place.
-C’est votre véhicule? interroge-Shawn, tourné vers Bach qu’il étudie cette fois de haut en bas. Il a ramassé la hachette, qu’il a rangée à sa ceinture et il reste à bord du chariot. La brume au dehors ne le tente pas.
-C’est celui de madame, répond-Bach contrarié. Il préfèrerait que ce soit le sien, c’est clair.
-Dans ce cas je m’arrangerai avec madame Brasva, constate-Shawn.
Bach essaie tout de même d’en tirer quelque chose:
-Tu vas rester là et bénéficier de notre protection sans payer? Pas d’accord!
-Ne me protégez pas.
-Tu seras dans nos pattes, tu vas nous entraver, proteste le guerrier.
-Je connais les protocols. Je me rendrai utile si besoin, réplique-Shawn en lui tenant tête.

Nadia poursuit, mettant fin au débat :
-Merci, Bach. Shawn, vous connaissez déjà notre équipe de défense Bach et Torpède, je vous présente donc le reste de notre petite troupe :
Voici le Frère Prumol, du temple de la Fourche, Medhi Abd al-Kader mon collègue informaticien, les autres femmes de l’expédition Gabriela Porti notre savante biologiste et Patricia Celleron qui est sociologue et pour finir notre guide géographe-cartographe Karl Flosh sans qui nous n’irions pas très loin.
“Informaticien?” s’écrie-Mehdi, offusqué. “Je suis ingénieur!”
Shawn salue d’un balancement de tête chaque nouvelle présentation et rabaisse enfin son masque et sa capuche. Les saluts s’échangent. Dans le silence qui s’installe après que Nadia ait achevé sa présentation, Bach fait signe qu’il veut parler.

-Il est temps de s’organiser pour passer la nuit. Il ne nous reste que quelques heures de sommeil avant que le soleil se repointe. Si on est malchanceux, c’est maintenant qu’on va tomber sur des bandits, dit-il en en appuyant sur le dernier mots et en dévisageant Shawn.
-... C’est de moi que tu parles? Demande-ce dernier en se pointant, un peu vexé.
Torpède intervient: “Si je peux donner mon avis, il est ex-fed, hein. C’est pas la même foule.”
-Ah parce qu’il t’a donné son badge, son numéro de plaque, son unité, son code de mission? T’es bien crédule mon petit Torpède, répond-Bach en consultant le compteur soudé sur le bras de son armure et poursuit :
“Nous avons cinq heures devant nous. Faut qu’on mange et puis je veux deux équipes de veille pour se reposer.”
Il lance au passage un regard chargé de mécontentement à son chien :
-Torpède, tu prends la seconde avec le Frère Prumol, Medhi et les femmes Gabriela et Patricia. Je prends la première veille avec not’ Cheffe, Karl et Shawn…

Bach veut garder un oeil sur leur nouvel invité qui ne lui inspire aucune confiance. Il n’en fait aucun secret, lui jettant des coups d’oeil suspicieux sans cesse. Il va devoir parler avec son chien et ses manières bien trop conviviales mais ça attendra le jour.

Les veilleurs se couvrent chaudement pour quitter la tiédeur du chariot et s’arment d’un fusil léger. Bach ne donne pas d’arme au cyborg, qui se contente silencieusement de la hachette. Karl emporte avec lui un ordinateur portable. Puis ils sortent le brasero que Bach allume d’un coup de chalumeau et s’installent sur des petits pliants bas autour du feu pour cuir leurs vivres en surveillant les alentours. Bach a depuis retiré son anorak, qu’il a replié en tas sur le toît. Il fait rôtir un lapin et un oiseau que le chien a tués la veille et distribue les morceaux cuits sur une large assiette à l’intérieur du chariot pour les autres, l’air mécontent. Il ne dit plus un mot.
Très vite, Karl pose son arme sur ses genoux et ouvre son ordinateur.
-Qu’est ce que tu fais ? l’interroge Nadia.
-Avec toutes ces histoires, j’ai pas eu le temps de faire le point en soirée. Si on veut savoir où on va demain, faut que je m’y mette.
Shawn est enfin descendu du chariot et les rejoint debout près du feu pour surveiller les environs. Comme ils sont dehors, il se cache à nouveau dans son masque et sa capuche.
-Vous ne risquez pas d’abîmer votre ordinateur en faisant cela ici ? Interroge-t-il en approchant de Karl et de Nadia. “Il y a encore de la brume...”
Karl pianote sur son clavier et répond :
-Nos ordinateurs sont équipés de protections paramagnétiques. C’était indispensable pour venir ici. Ça nous a coûté bonbon. Mais même avec ce bouclier, il arrive qu’on ait des chutes violentes d’énergies.
-Que faites-vous dans ce cas là ? Questionne Shawn.
-Ça c’est le boulot de nos ingénieurs, mais on a un moteur de secours. Ce qu’on craint le plus c’est une surtension trop violente, mais il parait qu’on a peu de chance d’en subir dans le coin. Quand le brouillard arrive, le phénomène électromagnétique qui se déclenche suce plutôt tout ce qu’on a.
-Et le moteur de secours, il est où ?
-A l’arrière du chariot dans un caisson étanchéifié aux radiations.
-Vous êtes vraiment équipés… Où allez-vous demain ?
-On devrait passer le couloir des aiguilles jetées dans la matinée. J’aimerais bien qu’on atteigne les monts de la sangsue avant la nuit. Mais tout va dépendre de ce canasson. On n’avance pas vite avec cette bestiole qu’il faut toujours retaper ! Vous connaissez déjà ?
Shawn hausse les épaules.
-Non, ça ne me dit rien.
Nadia vient se mêler à la discussion.
-Tu ne m’as pas dit que juste avant les monts de la Sangsues on devait passer par une vallée de la mort ?
-Ouais, c’est ça. Mais c’est une simple expression pour qualifier une vallée totalement désolée. En tout cas, faudra refaire les réserves d’eau avant de l’atteindre.
Shawn semble intéressé par leur système de filtration. Il pose quelques questions.
Karl répond tout en entrant les données sur son ordinateur, puis appuie d’un coup sec et soutenu sur la touche finale pour sortir le programme. Une petite feuille s’extrait du côté de son terminal.
-Tiens Nadia, voilà les données de l’itinéraire de demain.
Il relit le papier avant de lui donner.
-Cette vallée est bien longue quand même. Je ne suis pas certain qu’on pourra l’atteindre demain soir. J’aimerais pas y coucher d’après ce que mes carnets racontent.
Nadia grimace.
-Oui, tout va dépendre du train que nous fera mener ce sacré cheval mécanique ! La vallée est si lugubre que ça ?
-Plus que lugubre oui…. Soupire Karl.
-C’est quoi comme cheval mécanique? interroge-Shawn, curieux.
-Un Daemon de seconde génération, répond Karl d’un ton las.
-Quelle année?
-76.
Les yeux de Shawn sourient sous son masque. “Sérieux?” Il s’éloigne du feu pour mieux apercevoir la forme fantomatique au devant du chariot. “J’adore ces chevaux, avec leurs cornes de démon.” dit-il. “Je peux y jeter un coup d’oeil?
Sans attendre de réponse, il s’éloigne du feu de camp pour s’approcher du cheval immobile. Il soulève un peu la bâche pour inspecter un pied, puis l’autre, puis se glisse entièrement dessous avec une lampe de poche.
Nadia et Karl s’échangent un regard, perplexes.
-Mais il est sain d’esprit ouu… ? commence Karl, presque inquiet pour sa santé mentale.
Shawn revient quelques minutes plus tard, radieux:
-Il vous pose problème ?
-Disons qu’on avancerait parfois plus vite si on se mettait tous à tirer le chariot à sa place, répond Karl, les sourcils on ne peut plus froncés. “Et qu’il essaie de nous tuer dès qu’un technicien s’approche.”
-Nous l’avons acheté en seconde main. Les propriétaires nous auraient presque payés pour les débarrasser du cheval, répond Nadia.
Shawn se frotte les doigts sur son manteau: “Oh… Je vois. Je regarderai demain.”
-Vous faites un peu de mécanique, Shawn? S’informe Nadia.
-Ah, non. Mes parents avaient le même quand j’étais petit. J’allais partout avec, dit-il en montrant du pouce derrière lui. “Ce modèle a mauvaise réputation parce qu’il vient avec un défaut de fabrication. Plus personne ne veut les acheter alors que ce n’est rien du tout à réparer, deux fils à inverser, c’est tout. Il faut juste le savoir. En plus on dirait que celui-ci a été très peu utilisé. Je pense que vous avez fait une affaire.” poursuit-il, visiblement réjoui par les souvenirs que lui procurent la machine. Il s’assied auprès d’eux et Nadia lui tend un gobelet d’eau, qu’il vide d’une traite, assoiffé.
-Merci.
-Encore?
-Oui, s’il-vous-plaît, dit-il poliment.
Le silence qui s’impose alors met en valeur celui qui les environne. La nuit grise est comme une chape de plomb dans laquelle rien n’est perceptible. Le plus éprouvant est sans doute de n’entendre aucun cri d’animal ou froissement d’aile. Le nuage qui les enveloppe brise tout signe de vie et les écrase de sa masse.
Nadia, tout comme Karl ont du mal à garder les yeux ouverts et s’affalent peu à peu sur eux-mêmes a contrario de Shawn qui demeure très droit, les yeux fixes, comme à l’aguet.
Seul Bach se lève parfois pour tourner autour du camp histoire de se dégourdir les jambes ou se soulager derrière le chariot.
Leur soulagement est grand quand enfin la grosse voix sourde de Torpède se fait entendre pour les remplacer. Il s’extrait du chariot un peu pataud suivi par Gabriella la mine ensommeillée.
-Vous autres à l’intérieur, hophophop! Lance-le chien avec entrain comme si tout ça l’amusait beaucoup. C’est l’aventure de sa vie. Les veilles sont devenues habituelles depuis qu’ils ont quitté les régions civilisées. Une routine éprouvante mais indispensable. Chacun s’installe tranquillement en s’enveloppant d’une couverture, histoire de conserver un peu la chaleur de la cabine.
Bach et Shawn s’installent se faisant face dans le chariot, assis chacun contre une paroi du véhicule et se toisent pendant de longues minutes comme pour un concours de celui qui regardera l’autre faiblir. Ils ne s’échangent pas un mot.
Torpède grogne un peu en relançant le brasero, pendant que Patricia réchauffe le café pensive.
Elle installe son pliant près de celui de Gabriella.
-J’ai hâte que nous arrivions sur le site. Dit-elle. Je crois que je vais avoir épuisé tous les livres et recherches sur le sujet et tout ce qui s’y rattache ! Je n’ai que ça à faire pour le moment et c’est pas la faune du coin qui peut me donner de quoi étudier ! Et toi de ton côté, c’est pas mieux, n’est-ce pas ?
-Oui, c’est vrai que plus on avance plus notre environnement est minéral, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais c’est l’idée de trouver la petite trace de vie la dedans qui est passionnante. Pour le moment elle se fait de plus en plus rare, mais elle n’est pas différente de ce qu’on connait… Si j’en crois la seule étude écrite sur le sujet, celle de Jeanne Fravnet que tu connais sans doute, nous devrions commencer à trouver les premiers hybrides près du lac de la Touche. D’après Karl, c’est quelque part dans les montagnes qu’on voyait au loin aujourd’hui.
Bach finit par s’allonger de côté, la tête posée sur une couverture et s’assoupit, comme si de rien n’était. Shawn le regarde faire en remuant, se demandant pourquoi il abandonne la lutte ainsi, sa dague bien en vue. Peut-être que le guerrier cherche à être provoqué ou qu’il a jugé plus important de se reposer. Shawn ne se laisse pas tenter et il a du mal à fermer l’œil même après que la respiration de Bach se soit ralentie, régulière. Karl ronfle doucement depuis longtemps. Nadia s’est endormie aussi. Il fixe sa dague qui monte et qui descend à la taille du guerrier.


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Message posté le 16:31 - 6 janv. 2018


Chapitre 3



La journée commence tôt. Il s’agit de parcourir le plus de distance possible avant l’arrivée du soir. Les occupants du chariot se lèvent rapidement quand Torpède tambourine la porte aux petites heures:
-Il va faire jour !
Le cyborg est le premier à bondir hors du véhicule aux côtés du chien, comme s’il n’avait attendu que ça de l’autre côté de la porte. Il s’en va de lui-même retirer la bâche du canasson, sans attendre les autres, et inspecte la machine.
Le cheval secoue la tête en se réveillant et Shawn grimpe sur son dos, s’y assoit pour inspecter tranquillement ce qui se passe dans ses systèmes, dans la boîte de contrôle à hauteur de l’encolure. La bête redresse la tête avec interrogation, pas vraiment habituée à ce comportement.
Mehdi les rejoint, curieux.
-Vous faites quoi? Interroge-t-il en restant à distance raisonnable, autant pour se méfier du cheval que de Shawn.
-Un petit truc bête, répond Shawn sans lever la tête du rouleau de fils électriques qu’il a hissé hors de l’encolure et qu’il chipote.
Mehdi devient livide: “Faites pas ça, enfin!”
Le cheval essaie de se gratter avec ses cornes et Shawn lui repousse la tête d’un pied comme si de rien n’était. Il garde la botte dessus et ça semble occuper le cheval un moment.
-T’inquiètes, c’est rien… rassure Shawn en jetant un coup d’oeil rapide à l’ingénieur décontenancé. Il débranche et rebranche quelques séries de fils puis remet tout au-dedans. Le cheval reprend sa position initiale.
-Il vous reste de l’huile? Une des jambes n’est pas huilée, remarque-t-il en descendant à terre et en ramassant le sabot du postérieur droit pour l’inspecter.
Mehdi profite qu’il ait l’air de se débrouiller pour lui balancer la bouteille :
-Je vous en prie, dit-il en posant les mains sur les hanches pour le regarder faire, ravi de ne pas avoir à s’approcher du canasson démoniaque.
Shawn se charge de terminer la maintenance qu’ils avaient entamé la veille avec difficulté. Cette fois le cheval est parfaitement calme, à secouer la tête de temps en temps comme pour se débarrasser de quelque chose dans l’oreille mais pas pour protester.
-Nickel, dit Shawn en reposant le pied quand c’est fait. Il rend la bouteille à Mehdi en la lui lançant de loin sans regarder s’il l’attrape ou pas. Il est trop occupé à s’assurer que toutes les lanières du chariot sont bien positionnées et qu’elles n’abîment pas la mécanique du cheval.
Quand tout le monde est prêt, l’expédition peut reprendre. Torpède et Shawn marchent de chaque côté du cheval mécanique pour l’aider au démarrage mais après quelques mètres difficiles dans les roues partiellement ensevelies du chariot, le cheval trouve un rythme qui lui convient et il tire sa charge colossale avec entrain, d’un pas certain et furieux. C’est comme s’il venait d’apprendre à marcher, ce qui le dérangeait ou l’énervait ne le distrait plus.
Shawn trouve cela parfaitement normal et écoute Torpède raconter passionnément ses années de caserne à l’avant du chariot. Il ne sait pas dans quel pétrin tous étaient à cause de cette machine contrariante.
Bach ferme la marche à l’arrière du convois pour garder un oeil sur ce qui traîne, la carabine en main.
La journée est ensoleillée, le ciel clair et l’esprit est léger sur l’expédition. Ils sont contents d’avancer bien et, par hasard ou non, ne croisent aucun bandit dans la vallée de la mort. Le chemin est agréable si ce n’est pour l’absence totale de bruits d’insectes ou d’animaux.

Shawn baille de plus en fort aux histoires militaires du Canusapien. Il y trouve pourtant un certain intérêt, il y commente de temps en temps mais plus la matinée passe et plus il est silencieux. Il se surprend à poser plus de poids sur la lanière du cheval qu’il tient d’une main que de l’aider vers l’avant. Il trébuche de plus en plus et après quelques temps, oscille de gauche à droite comme s’il était ivre.
Torpède, plongé dans son histoire et séparé de sa vue par le cheval, ne le remarque pas. Mehdi non plus lorsqu’ils se rentrent dedans, concentré qu’il était sur un de ses écrans portables. Ils se bousculent à l’arrière du chariot et Shawn perd l’équilibre et s’étale. Mehdi s’est tout juste rattrapé d’un air offusqué, il en a presque laissé tomber son écran.
-Ow! Tu peux pas regarder où tu vas? S’exclame-t-il, vexé d’avoir été surpris sans regarder où lui-même allait.
Shawn ne se relève pas.
-Stop le chariot ! crie Bach en voyant le corps à terre. Torpède arrête le cheval, surpris de ne pas trouver son compagnon à côté de lui.
Très vite un grand cercle de visages inquiets entoure Shawn. Bach, qui arrive le dernier, râle:
-C’est pas vrai mais quel fardeau !
Nadia qui s’est penché sur lui et lui prend le poul interrompt sèchement les remarques de Bach.
-La ferme Bach, c’est pas le moment.
Le poul est bien trop lent.
-Karl, Frère Prumol, pouvez-vous m’aider à le monter dans le chariot. Gabriella, installe une couchette sur l’arrière s’il te plait.
Le malade est rapidement transporté et Nadia monte dans le chariot, mais encourage les autres à rester à l’extérieur.
-Je vais m’occuper de lui, dit-elle. Continuons la route. Ce serait bien qu’on arrive ce soir aux pieds des montagnes. Nous n’avons pas encore atteint la vallée désertique et je voudrais bien en sortir avant la tombée de la brume. Ils sont d’accord. Tout le monde reprend son poste et le chariot reprend la route.
Le Frère Prumol traîne auprès de Nadia un moment, mais les gestes de l’ingénieure sont énergiques et sans bavure. Il n’est pas utile à grand chose. Elle semble savoir ce qu’elle fait.
Ce que n’a pas dit Nadia, c’est qu’elle est très inquiète. Elle soupçonne le cyborg d’avoir abusé de ses forces énergétiques et rétablir la situation sans alerter Bach ne sera pas chose facile.
Les gestes médicaux qu’elle procure à l’homme ne sont que des palliatifs totalement inutiles de la poudre aux vents pour détourner l’attention du Frère. Elle sait pertinemment que ce genre d’androïdes… Non… pas androïde… Elle ne devrait pas penser ainsi. Les cyborgs sont des hommes avant d’être machines… Ce genre d’homme modifié peut régénérer tissus et lutter contre les virus par le biais de mécanismes auto fonctionnels.
Elle ne peut pas atteindre la prise mère du cyborg sans une petite intervention chirurgicale qui aurait l’air suspicieuse et il n’est pas question de faire ça maintenant au nez du groupe. Shawn fait partie de ces créations classées secret défense dont elle a juré un jour de prendre soin en même temps qu’elle participait à leur naissance. C’est un cyborg de rang 7, elle en est certaine. Autant qu’une mère reconnaît son petit.
Elle va devoir le recharger à l’arrache, il ne va pas aimer et l’efficacité sera de courte durée mais elle n’a pas le choix. Si elle n’agit pas, le groupe risque de s’en prendre au cyborg. Il pourrait même être amené à le rejeter.
Comme elle imagine déjà le corps de Shawn abandonné sur le bord de la route au fin fond d’une vallée brûlante, desséchée par un vent irradiant, elle met en route l’ordinateur central et connecte le moteur de charge pour constater l’état des batteries. Fort heureusement la tempête de la nuit n’a en rien diminué le niveau de charge qui continue de monter quand le chariot roule.
Alors, elle sort deux câbles électriques qu’elle fixe sur le moteur. Elle dissimule le mieux possible les câbles au cas où quelqu’un montrerait son nez pendant l’opération. Puis elle cherche où les brancher sur le cyborgs et ne voit qu’un solution efficace : le coeur.
-Vous allez le réanimer? Que lui arrive-t-il? S’enquit Prumol en la regardant faire, l’expression soucieuse. Il ne voit rien de surprenant à son intervention : les lèvres de Shawn on viré au bleu et il est froid comme une pierre. Les grand moyens semblent justifiés.
Prenant son courage à deux mains, Nadia ouvre les vêtements du cyborg pour exposer son sternum, attache ses câbles électriques à deux longues aiguilles et d’un coup sec les plonge entre la 4éme et 5éme côtes. Elle envoie une première décharge qui ne donne rien. Le coeur s’arrête. Après quelques secondes, elle en envoie une autre, beaucoup plus longue, qui a pour effet de choquer et de redémarrer son système cyborganique. Le coeur reprend, beaucoup trop vite, avant de redistribuer les charges d'excès dans les batteries pour retrouver un rythme stable.
Frère Prumol esquisse rapidement le signe de la Fourche, livide. Shawn reprend des couleurs.
Quelques secondes passent pendant lesquelles les câbles continuent de déverser du courant sans que personne n’y voit quoi que ce soit, puis Shawn revient à lui et redresse la tête. Il écarquille les yeux en découvrant les câbles enfoncés dans sa poitrine et Nadia retire aussitôt les aiguilles, préférant éviter qu’il ne les casse pas en sursautant comme il a fait à plusieurs reprises aux interventions de Torpède la veille. Elles ne peuvent plus être utilisées. Il faudra aviser pour la suite.
Effectivement, Shawn fait mine de la repousser dès que le contact est rompu. Elle évite de peu un coup de pied.
-Du calme! S’écrie Prumol. “Vous étiez complètement inanimé, elle vous a ramené à la vie!”
Ce dernier a l’air pour le moins confus. Il se couvre la poitrine et recule sur la couchette en les regardant tour à tour comme si on l’avait trahi.
-Je marchais à côté du chariot… Qu’est-ce que je fais ici? Demande-t-il, inquiet et confus. “La brume s’est levée?”
-C’est ton esprit qui est embrumé, lui répond Nadia. Le jour est levé depuis longtemps et avec lui le brouillard s’est dissipé.
-Tu étais bien mal en point, ajoute le Frère Prumol. Dieu est témoin que Nadia a été mise sur ton chemin du bon côté de la Fourche. Elle a su quoi faire pour que tu ailles mieux. Tu es bien faible mon frère.
-Tu n’es pas encore complètement remis, précise Nadia en le fixant intensément pour voir s’il comprend ce que cela signifie pour lui, Mais Shawn ne montre aucun signe de compréhension.
Elle tente le tout pour le tout en empruntant le langage du Frère :
-L’énergie qui te traverse n’est pas suffisante. Dieu veuille que tu te ressources rapidement. Il le faut.
-Je crois que vous feriez bien de vous reposer dans le chariot pendant le trajet, conclut sagement Frère Prumol pour appuyer ses dires.
-Attendez, s’écrie Shawn en rattrapant Nadia par le bras. “Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive. Ce sont… Ce sont les radiations? Je suis ici depuis trois semaines, que va-t-il vous arriver à tous si vous restez dehors?” demande-t-il, inquiet et pas tout à fait clair dans ses pensées.
-La Fourche nous protège, répond Frère Prumol d’un ton apaisant pour le calmer. “Restez-donc allongé. Reposez-vous.”
-Sérieusement, insiste Nadia. “Pour ta santé, dors au moins quelques heures dans le chariot.”
Shawn se rallonge sur la couchette et se frotte le visage, exténué. Il ne semble plus vouloir parler à personne.
Le Frère Prumol se tourne vers Nadia, un peu en retrait : “C’est une bonne question, devrions-nous nous en faire? Auriez-vous le matériel nécessaire pour mesurer de potentiels effets secondaires aux radiations sur notre équipe?” interroge-t-il à voix basse.
-Ne vous inquiétez pas Frère Prumol, nous avons prévu sur nos ordinateurs tous les logiciels utiles pour que nous revenions en bon état. Je vais d’ailleurs laisser notre ami Shawn dormir un peu et je lui ferai passer tous les tests demain. S’il subit déjà les radiations, Gabriella a tout prévu pour nous remettre en état.
Elle ponctue son discours pour le rassurer par de légers tapotements sur l’épaule tout en le guidant vers l’extérieur.

Dehors, la chaleur les prend au dépourvu. Le froid glacé de la nuit a fait place à une chaleur suffocante que l’abri du chariot ne laissait pas prévoir.
Après avoir rassuré leurs compagnons sur le sort de Shawn, ils se joignent au convoi piéton.
Les roues crantées du chariot ponctuent leurs pas tandis que leurs souffles irréguliers marquent des rythmes variés et sonores qui impriment comme une musique chuintante dans le paysage hérissé de roches effilées et brillantes.
Seule, Gabriella s’arrête parfois pour observer de plus près et prendre quelques échantillons des buissons d’épineux qu’ils croisent par intermittence.
Le cheval semble enfin accepter son rôle de canasson de mécanique bien huilée et ils avancent suffisamment pour avoir atteint l’entrée de la fameuse vallée que personne n’a encore nommée mais que tous qualifient de la mort.

Bach hurle un ordre pour arrêter la troupe qui n’aurait pas autrement agi sans cette interjection.
Le souffle chaud s’est depuis un moment transformé en chappe qui les abat tous. La vallée ne lui dit rien qui vaille. Chacun vérifie l’état de sa gourde d’eau et le plein est à faire avant le prochain départ. Mais auparavant, il est temps de réveiller le fainéant qui dort au frais et de casser une croute avec un repos bien mérité.
Shawn est profondément endormi lorsqu’ils rouvrent le chariot pour s’y abriter de la température. Il n’a même pas remarqué l’arrêt du véhicule et les bavardages au dehors. Il émerge seulement lorsque Torpède bondit à l’intérieur pour distribuer l’eau et ramasser quelques gourdes, qu’il compte aller remplir dans la rivière la plus proche.
Bach monte la garde perché sur le toît du chariot, son épée pas loin de lui, à grignoter une petite portion de ses propres provisions. L’équipe se rafraîchit en dessous de lui, pleine de questions.
-Que vous est-il arrivé? Demande Mehdi à Shawn qui s’est assis au bord du chariot sans manger. Il n’a pas faim.
-Un malaise, répond-ce dernier sans développer. Il ne sait pas lui-même ce qui lui est arrivé et n’est pas d’une grande conversation.
Mehdi s’en remet au frère Prumol, qui l’aiguillonne vers Nadia et là il laisse tomber, le sujet ne l’intéresse pas au point d’intervenir auprès de celle qui lui fait de l’ombre! Il est assez surpris d’être pris à part par cette dernière en compagnie de Patricia pour, justement, “discuter”. Nadia les emmène à l’écart pour profiter de l’ombre de quelques arbres au feuillage épais.
-De quoi s’agit-il? Interroge Patricia, étonnée.
Mehdi croise les bras, suspicieux.
-C’est au sujet de Shawn, commence Nadia. Elle a beaucoup réfléchi à la question tout au long de cette journée. “C’est un cyborg.” Cacher cette évidence ne ferait que compliquer les choses, ce que personne ne devait connaître, c’était son degré de sophistication.
-Et? Dit Mehdi, perplexe.
-Eh bien… Je crois qu’il ne le sait pas. J’en suis même à peu près certaine. Aucun cyborg ne serait venu mettre les pieds dans cette région de son plein gré. L’environnement, la brume, la chaleur, l’humidité… Tout est à son désavantage. Ses batteries sont rapidement vidées par les radiations et cela le met en danger. Je pense que son coeur est artificiel… Il semble l’ignorer.
-C’est pour ça qu’il s’est évanoui tout à l’heure? Interroge Patricia.
-Comment peut-on avoir des portions du corps modifiées et ne pas le remarquer? Ça n’a pas de sens, remarque-Mehdi, moqueur. “Rien que les cicatrices…”
Nadia se tourne vers Patricia pour l’observer intensément. Cette dernière pioche prudemment dans ses mémoires:
-Hmm… Des modifications importantes peuvent laisser des séquelles psychologiques. C’est parfois perçu comme la perte du corps. Certains ne l’acceptent pas, explique Patricia.
-Oh donc il est pété, je me disais aussi, répond Mehdi.
-Il est peut-être en déni ou psychologiquement instable, je ne sais pas, continue Nadia. “Mais je dois trouver un moyen de recharger ses batteries, sinon son état ne va faire qu’empirer. La prochaine exposition à la brume risque de le tuer.”
Disant cela, Shawn somnole à nouveau affalé contre la porte du chariot, pas plus en forme que tantôt. Mehdi se gratte la barbe.
-Oui, cela expliquerait l’état dans lequel on l’a trouvé la nuit passée, dit-il enfin, convaincu.
-J’ai préféré vous mettre au courant avant tout le monde au cas où la situation se compliquerait. Je dois le convaincre et l’opérer. Ses batteries n’ont jamais encore été rechargées et nous n’avons pas de prise cybernétique adéquate pour cautériser la chair. Je vais devoir improviser. Mehdi, tu seras mon assistant.
La notion impressionne ce dernier mais le flatte aussi. Il se tait.
-Comment puis-je me rendre utile? Interroge Patricia.
-Tu as côtoyé de nombreuses personnes et de nombreux cas. Je voudrais que tu lui parles. Je ne sais pas comment aborder le sujet et nous manquons de temps. Tu es mieux formée que moi en psychologie pour savoir comment le prendre.
-Et tu voudrais que je lui fasse comprendre qu’il est cyborg… C’est ça ?
Comme Nadia acquiesce en grimaçant, Patricia fait la moue, mais finalement se lève, semble réfléchir et se dirige vers Shawn.
Comme il n’a toujours pas mangé, elle se pose sans gène près de lui avec une assiette de nourriture et le réveille.
-Oh ! Je ne vous avais pas vu venir. Dit-il en sursautant, légèrement dépassé.
-Salut ! lui répond-elle en lui faisant un grand sourire. Je suis Patricia Celleron, mais beaucoup m’appelle Pat. Si tu préfères… Tu te sens mieux ? dit-elle en lui tendant l’assiette.
-Je vais bien, j’ai dormi… s’empresse-t-il d’ajouter. La fatigue ne me quitte pas. Je ne sais pas trop ce qu’il m’arrive. J’ai un sentiment de flou qui m’envahit constamment, c’est pesant
-Ce n’est pas très étonnant.
-Pardon?
-Ce sont des choses qui arrivent souvent pour des gens comme toi.
-Des… Qu’est-ce que tu insinues ? s’écrie-t-il, confus et se demandant s’il doit se vexer.
Cette fille avait pourtant l’air sympathique.
-Hé bien, tu es un peu particulier, quoi ! dit-elle avec un sourire qui lui illumine le visage.
Elle ajoute toute heureuse :
-Ce n’est pas tous les jours que l’on croise un dresseur de chevaux mécaniques! Dit-elle en riant.
-Oh. Non, non, je ne suis pas un dresseur de chevaux. Je ne connais que ce modèle en particulier, c’est seulement… C’est un heureux accident, je suppose. En fait… Je vous suivais depuis un moment parce que je l’avais vu, ce cheval. J’ai vu que vous n’étiez pas des bandits non plus et je vous gardais à l’oeil. Je ne savais pas que la brume deviendrait de plus en plus difficile à supporter, explique-t-il avec honnêteté, penaud.
Patricia l’observe attentivement.
-Mais tu n’es pas un bandit non plus… Pourquoi te rendre ici?
-J’ai mes raisons, répond-il sans répondre, reposant ce qu’il allait manger.
-Mange, reprends des forces! Insiste Patricia, enthousiaste.
Il reprend l’assiette mais n’en fait rien, les pensées ailleurs. De toute évidence il a assez de soucis pour se couper l’appétit.

Elle décide d’entrer dans le vif du sujet :
-Tu as vécu des évènements douloureux dans ta vie n’est-ce pas ? Je ne cherche pas à les connaître. Si un jour tu voulais m’en parler je t’écouterai avec attention. Mais ce que je veux dire, c’est que ces évènements difficiles t’ont marqué peut-être plus que tu ne le crois. Nadia a découvert sur toi des choses que tu caches à toi-même ou au monde, mais qui te rendent unique.
Shawn la dévisage d’une expression glacée.
-Mais si tu veux aller mieux, il faut que tu l’entendes sinon ton cas ne fera qu’empirer. Tu risques même de complètement perdre non seulement la raison mais aussi toute commande de ton corps, affirme-t-elle avec sérieux en soutenant son regard.
Sur ce sujet, Patricia s’avance plus loin que ce qu’elle en sait vraiment, mais son but est d’encourager Shawn a être demandeur d’informations afin de ne pas les subir.
Ce dernier se redresse en posant l’assiette de côté, se lève et marche dans les hautes herbes directement jusqu’à Nadia. Il n’est pas content.
-Qu’est-ce que c’est que ce manège ? Qu’avez-vous soit-disant découvert ? Interroge-t-il, assez près de son visage.
Il a l’air assez aggressif pour que Mehdi se lève à côté d’eux, pris comme d’une impulsion de protéger Nadia d’un étranger.
-Ooh. On va se calmer, là, lance-Mehdi. “ Tu lui parles pas comme ça au chef d’expédition.” Il ne pensait pas sortir ce genre de phrase un jour mais les mots sortent sans qu’il y réfléchisse.
-On se connait depuis deux jours et vous tirez des conclusions ? Vous croyez en savoir plus sur moi que ce que je sais ? Je vous remercie de me prêter votre toit mais ça vaut mieux pour chacun de nous que vous gardiez vos yeux dans vos poches, chacun ses affaires, s’exclame Shawn, irrité, possiblement effrayé.
Nadia lui pose une main sur l’épaule, très calme: “Shawn…”
Il s’en écarte d’un geste brusque, rappelé furtivement d’un moment déplaisant dans un bureau dont il essaie de ne pas se souvenir: “Ne me touchez pas.”
Prumol et Karl interrompent leur conversation à l’ombre du chariot.
-Shawn… J’ai dû te ressusciter aujourd’hui. Je ne sais pas si tu réalises à quel point ta situation… Médicale est sérieuse.
Gabriella lève la tête. Du haut du chariot, Bach les regarde sans intervenir, la carabine sur un genou, attendant qu’une excuse se crée pour mettre une balle dans la tête à ce lourdingue en capuche. Patricia les a rejoint.
-Tout va bien ? S’enquit-Gabriella.
-Non. Shawn est très malade et refuse d’être opéré, déclare Patricia énergiquement.
-Vous allez opérer ?? s’étonne Gabriella en déposant le carnet de notes gribouillé d’observations scientifiques sur lequel elle était penchée.
-Non ! s’écrie-Shawn en faisant un tour rapide sur lui-même. “Je refuse et vous n’avez aucun droit.”
-Tu baisses d’un ton, le petit à capuche, grogne Bach.
-Tu as parfaitement raison, dit Nadia en ignorant la remarque de Bach. “Rien ne sera fait sans ton accord, Shawn.”
Il n’est pas prêt à être raisonné. Ils devront agir la prochaine fois qu’il perdra connaissance, ce qui ne saurait tarder. Elle espère seulement qu’il ne sera pas trop tard pour intervenir le moment venu.
Shawn semble se calmer à cette réponse mais il les regarde encore tous d’un drôle d’air, mal à l’aise. Il s’éloigne du chariot, dans les bois à la suite de Torpède, qui semble son dernier refuge à présent, celui qui ne pose pas de question.
-Ola, Shawn ! Lance le Canusapien en l’entendant arriver. Il reconnaît chaque membre de l’équipe aux bruits particuliers de leur démarche, une particularité de son ouïe très fine.
-Tu as trouvé de l’eau?
-Une toute petite source mais à force, oui, ça remplit une gourde, répond Torpède accroupi au-dessus d’une flaque humide. Shawn s’arrête pour le regarder faire.
-Heureusement que le cheval ne boit pas…
-Ah oui c’est sûr ! Mais tu sais, avec le filtre qu’on a Bach et moi on peut recycler de l’urine si il faut. C’est déjà arrivé. Il marche ! Répond Torpède.
Shawn hausse un sourcil en se passant de commentaire. Il apprécie les conversations légères du chien qui ne vont nulle part et qui le distraient d’un nuage de pensées sombres. On les entend plaisanter à distance.

-Alors pourquoi vous trimballez cette épée? demande-Shawn sur le ton de la rigolade, transportant les gourdes déjà remplies pour aider le chien.
-Hein?
-à quoi ça vous sert? Elle pèse autant que nous deux, remarque Shawn en souriant.
-Tu ne sais pas ce que c’est? Interroge le chien, qui ne comprend pas la blague.
-Une masse supersonique. C’est pour les matériaux que vous vous cassez le cul à la transporter sur le chariot?
-Non c’est une arme, pourquoi tu dis ça?
Shawn redevient sérieux, étonné.
-Elles ne fonctionnent plus, leurs pièces de corps ne sont plus produites depuis deux ans et demi suite à une loi et ces pièces tiennent moins d’un an. Tu l’as déjà vu fonctionner? Dit-il, patient.
Torpède l’observe attentivement.
-Bach a dit qu’elle fonctionnait, remarque-t-il, un peu défiant et incertain.
Shawn fait une moue blasée, niant de la tête: “Même à l’armée on ne les utilise plus. Depuis longtemps. Elle est là pour faire joli.” conclut-il en retournant vers le chariot avec les gourdes remplies.
Torpède s’interroge.


Dans ton dos avec un beanie, un hamburger et un fusil.
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Message posté le 16:46 - 6 janv. 2018


Chapitre 4


Le reste du trajet dans la vallée de la mort est pour le moins dépourvu de conversation jusqu’à ce que le soleil descende sur l’horizon, leur apportant la fraîcheur très attendue de la nuit. Torpède et Shawn ont repris leur place de chaque côté du cheval et débarrassent le chemin des petits obstacles inévitables à une route qui n’est plus maintenue depuis des années. Patricia Celleron anime l’arrière du convois avec une conversation passionnée avec Gabriella sur le sujet du cerveau et le frère Prumol sermonne Mehdi sur l’inégalité de diverses fois, ignorant ostensiblement l’ennui qu’il produit chez son compagnon de voyage.
Quand le soleil disparait derrière l’horizon ils ont atteint un bâtiment postier mais l’état de délabrement de l’édifice le rend inutile. Ils devront dormir à nouveau dans le chariot.
Bach enfile déjà sa combinaison. Torpède est sur le toit avec la carabine à observer pendant que Mehdi, Nadia et Shawn emballent précautionneusement le cheval dans sa bâche.
Patricia déplient les couchettes à l’intérieur du chariot. Gabriella et Karl rangent et aménagent pour s’accommoder de Shawn puisque cette fois son addition est prévue. Et Nadia leur a donné de très claires instructions quant à où entasser les affaires et où laisser le champ de manœuvre libre. Elle a un plan d’attaque en tête et tous les détails comptent. Ce faisant, Patricia papote, papote, papote.
-Vous radotez, intervient Prumol courtoisement.
L’air s’épaissit. Ils terminent leurs rangements, verrouillent les roues du chariot, ramassent les boîtes d’échantillons, rangent les gants, les pinces, les boîtes à outils.
-La brume descend! Aboie Torpède du toit brusquement.
Les scientifiques rentrent un à un dans le chariot tandis que les bois s’obscurcissent rapidement. Bach saute du toit pour atterrir entre la porte et le cyborg en capuche.
-On va reparler de payer pour ta place dans l’expédition? s’enquit-Bach, calculateur. Il coupe aisément l’accès au chariot de par sa masse sous cet angle. Shawn fait mine de le contourner.
-Ce n’est pas ton expédition, réplique-t-il, tendu par le fait de se trouver dehors et de voir de ses yeux la brume arriver sur eux. Il l’a déjà dans les poumons depuis une minute ou deux.
Bach lui barre le chemin d’un bras, qu’il a énorme.
-Ce sont mes clients… Et tant qu’on ne sait pas vraiment qui tu es, je n’ai pas de raison de croire que tu n’es pas un danger pour eux… gronde Bach.
-On s’est présenté…
-Nonnonnon… Je veux voir une pièce d’identité, du solide. Pas des couilles. T’es réglo ou t’es pas réglo. Si t’es pas réglo, je te veux pas dans mon chariot. Alors on va attendre ici que tu te décides à cracher le morceau ou tu passes la nuit dehors, hm?
Shawn se demande furtivement si le reste des scientifiques serait capable d’opposer Bach par la force et s’ils s’y risqueraient. Probablement pas.
-Alors? Vous vous dépêchez? Qu’on ferme enfin cette porte! s’écrie-Karl de l’intérieur.
Bach ferme sèchement la porte d’un coup de coude sans quitter le cyborg des yeux. Shawn en profite pour tenter de se glisser autour de lui mais c’est en vain. Bach le saisit par le col et le plaque contre le chariot, quelques centimètres au-dessus du sol de façon à ce que Shawn se tienne sur la pointe des pieds.
-Alors? On est entre nous, tu peux me dire d’où tu sors.
Shawn ne dit rien, complètement résigné. Il respire le moins possible en fixant les bois.
On toque à la porte de l’intérieur.
-Bach? Tu peux faire entrer Shawn?
-Un moment!
Des chuchotis à l’intérieur. Qu’est-ce qui presse plus que de l’abriter de la brume? S’interroge Nadia.
-Bach, ouvrez cette porte!! S’écrie-t-elle soudain en frappant, furieuse.
-Je fais mon travail, vous permettez?? Réplique Bach sèchement. Il tient la porte fermée sous son poids.
Nadia se met à tambouriner furieusement sur la porte, ce qui a pour effet d’alerter Torpède, qui s’y penche:
-Il se passe quoi? Interroge le chien.
-Bach cherche à m’extorquer de l’argent, chuchote-Shawn à bout de souffle en sachant que l’oreille très fine de Torpède a quelques chances de l’entendre.
-Bach, les membres de l’expédition semblent avoir agréé sur l’inclusion de Shawn dans l’équipe, c’est leur décision. Ils ont même ajouté une couchette, argumente Torpède.
-Soit, conclut Bach en lâchant le coll de Shawn. Il s’écarte de la porte qui s’ouvre sous les tentatives de Nadia et balance le cyborg dans le chariot comme il a fait la nuit passée. “Mais Torpède reste avec moi sur le toit pour la nuit. S’il vous arrive des embrouilles, c’est à vos frais.” menace-t-il. “Vous êtes entre vous.”
Il referme la porte sur eux et grimpe sur le toit. Nadia reste coite, de plus en plus révoltée par le comportement du guerrier.
-Homme perfide… siffle-t-elle en entendant Shawn tousser en retrait. Ce dernier s’est adossé au mur, assis dans un coin du chariot, blafard. Il pique du nez.
Mehdi attend, prêt à intervenir. Il a appris par cœur ce que Nadia lui a commandé de faire dès que le cyborg perdrait connaissance et il est sur le qui-vive.
-Il est encore malade? Interroge Gabriella. “Si vite?”
Nadia s’agenouille à côté de Shawn et lui jette un coup d’œil sous sa capuche pour l’examiner. Il lui repousse le bras mollement, ses réflexes amoindris, déjà…
Elle fait signe à Mehdi et au frère Prumol, qui s’approchent. Gentiment, ils soulèvent ensembles le cyborg et le posent assis précisément où Nadia l’exige, dos au fond du chariot, accoudé sur une couchette, avec assez d’espace derrière lui pour qu’elle puisse travailler mais sans que personne ne puisse venir jeter un coup d’œil. L’emplacement est tout calculé. Elle ne veut pas de curieux.
-Parfait. Merci. Mehdi, assemble le câble.
-Tout de suite.
Ce dernier se met au travail en s’appliquant le plus soigneusement possible. Pour une fois qu’on requiert de lui d’exercer ses compétences. Il en ressent comme une bouffée d’adrénaline.
Shawn est toujours conscient mais beaucoup moins qu’avant. Il demeure où on l’a posé, remuant un peu sur place, la tête tombante jusque sur ses mains comme s’il était assis dans une classe d’université archi ennuyeuse. Il a presque l’air paisible.
Nadia déploie son attirail à proximité, tous les outils utiles du bord qui lui serviront. Un couteau très étroit, un coupeur de câbles, des bandages, de l’alcool, une éponge, des plaques de contacte tranchantes qu’elle retaille avec une grosse pince et que Mehdi polit à coup de torchon rapides. Gabriella lui fournit les gants en latex, les pinces et le papier d’isolation organique.
Il y a soudain comme une tension dans l’équipe. Attendant de pouvoir commencer, Mehdi, les mains libres, questionne: “Tu… Tu ne veux pas qu’on lui lie les mains? … Au cas où, heuu… Au cas où il se fâche...”
Nadia se remémore le déroulement de la nuit précédente et conclut: “Non.” Elle s’accroupit auprès de Shawn, lui remue le bras. Gabriella vient lui prendre le pouls pour vérifier. Elle hoche la tête. Nadia le déshabille, le moins possible. Elle ne veut pas exposer plus de peau que nécessaire, après tout, ils s’attendent à y voir du synthétique. Aux ciseaux, elle coupe dans le vêtement dans son dos pour faire de la place. Shawn est inerte.
-L’alcool d’abord et amplement, rappelle Gabriella, qui s’est assise en tailleur en face de Shawn avec un doigt sur son pouls.
Nadia s’exécute. C’est un peu effrayant. Elle n’a jamais eu à ouvrir de cyborg sans équipement approprié. Elle se concentre de toutes ses forces pour s’éclaircir les esprits et ne pas faire de bêtise. Après avoir tâté et scanné à plusieurs reprises pour être certaine de l’emplacement de la connexion, couteau dans la main, elle fait une incision, la plus petite possible. Elle est soulagée par l’absence de réaction du cyborg mais s’en inquiète à la fois. Pourvu qu’elle complète l’opération à temps.
Ce qui la surprend le plus c’est la quantité de sang qui s’échappe de cette toute petite plaie. Travailler sur des machines, sur du synthétique, on ne s’en barbouille pas les doigts. Elle n’ose pas se servir de l’éponge, qui n’a rien de stérile. Le sang s’imbibe dans les tissus du pantalon en dessous. Sur le coup, elle panique, se demandant ce qu’elle doit faire. Cautériser? Instinctivement elle bourre la plaie de gause le temps de s’équiper du reste du matériel. Mehdi lui tend les plaques, qu’elle attache à la prise de fortune, enroulée dans du papier adhésif isolant. Elle retire la gause rougie et tente d’engager les lames dans la portion d’os synthétique créée pour. Ça ne rentre pas.
-Mehdi, ce n’est pas la bonne taille! Grogne-t-elle en s’emmêlant les pinceaux, stressée.
-Je les aies faites sur les mesures exactes que tu m’as données! Proteste-t-il.
En cherchant un peu les lames finissent par s’engager comme il se doit. Nadia est déjà à court de gause, le front suant. Elle s’empare du papier organique, découpe à l’arrache quelques feuilles et l’applique sur la plaie jusqu’à ce que ça colle et que le sang ne parvienne plus à s’écouler. Cette couche sert aussi à isoler la prise.
-Tu peux le brancher, Mehdi!
L’ingénieur branche le câble à l’ordinateur qu’ils ont sélectionné à cette tâche. Nadia maintient la prise dans une position précaire le temps d’entendre confirmation. Est-ce que son circuit de fortune fonctionne?
Mehdi est penché, l’expression sérieuse, sur l’écran. Il tapote quelques touches.
-Alors??
-Le courant passe, confirme Mehdi.
Elle emballe la prise dans un bandage qu’elle enroule autour de la taille de Shawn pour que rien ne bouge.
-Il respire? Interroge-t-elle.
-Oui, répond Gabriella.
-2% de batterie…! Eh ben, s’exclame Mehdi en s’informant des données que l’ordinateur affiche. “Ventricule 1, ventricule 2, … Effectivement, c’est bien un coeur mécanique… Ouah, il en a des pièces synthétiques! Hhoh… C’est un système étranger aussi: Unknown Part 1, Unknown Part 2 et… ça descend jusqu’à Unknown Part 1136… Et puis toutes les vertèbres, je crois...”
Beaucoup de pièces cyborganiques n’existent pas encore dans les databases des ordinateurs grand public. Nadia préférerait qu’il se passe de lire ça tout haut. Elle finit le bandage aussi vite que possible et le rejoint derrière l’écran.
Elle a à peine le temps de s’asseoir à côté de lui qu’une alerte s’affiche par-dessus les informations de l’appareil connecté. Un logo menaçant se dessine. Gouvernement de Mercia, une force étrangère. Le message n’est pas dans leur langue et il arrive à retardement, comme s’il avait fallu un certain transfert de données quelque part pour le provoquer.
“You are about to connect to an illegal system code 20.14.6. This unit has been flagged with an arrest warrant by the authorities of Mercia. You are required by law to report fraudulent systems to your local authorities immediately. Failing to do so is a crime and may subject you to a severe fine and emprisonnement.” Suivi d’une adresse et d’un formulaire de rapport de données automatisé qui n’est qu’à signer.
Nadia pâlit et frappe le clavier d’un réflexe pour fermer le message et le formulaire.
-Qu’est-ce que tu fais?? S’exclame Mehdi en sursautant.
Une seconde alerte s’ouvre immédiatement, encore plus compromettante: “Le système que vous avez connecté est associé à une fiche d’identité figurant sur la liste des 1-90 premiers criminels mis à prix dans votre région en tête depuis: 8 mois. Récompense: 550 450 Deniers. Nom: Iliya Evan Robinson. Crime: Rupture de contrat, dette au gouvernement, licenciement déshonorable de l’armée. Affiché par : Mercia. Conditions obligatoires: Non-endommagé, système intacte, vivant.”
L’alerte est accompagnée de détails d’identification incluant sa photo de face, de dos et de profil prise dans ce qui ressemble à une chemise d'hôpital avec la tête rasée pour présenter une série de cicatrices très fines et symétriques à l’arrière de son crâne, le long de sa nuque et de son dos. Une photo de son ventre est affichée aussi présentant une large cicatrice horizontale très grossière qui efface presque complètement son nombril et qui n’a rien de comparable avec la finesse et la discrétion des cicatrices apparaissant sur le reste de son dos.
Chargement des batteries : 4%
Mehdi a le réflexe de débrancher le câble de l’ordinateur mais Nadia pose la main sur la sienne et l’en empêche.
-Tu veux mort d’homme sur la conscience? S’exclame-t-elle.
Mehdi reprend sa main, vert. Il pointe l’écran du doigt d’une main tremblante:
-Tu… C’est…
Nadia, qui a le cerveau qui tourne à du cent à l’heure après l’opération qu’elle vient d’accomplir, se précipite vers le groupe de prises qui s’élèvent vers le socle des antennes du chariot et les débranche. Elle se rassied ensuite au côté de Mehdi derrière l’écran, l’expression plate comme au Poker.
Après quelques secondes, l’alerte s’efface. Nadia hausse les épaules, l’air de n’avoir rien vu. Mehdi la fixe avec stupeur.
-Alors, cette opération? Pas de soucis avec les ordinateurs? Interroge Prumol.
-Tout s’est bien passé, répond Nadia sans quitter Mehdi des yeux. “On en sera vraiment sûr quand il se réveillera, s’il a encore toutes ses fonctions.”
Mehdi avale sa salive de travers et se met à tousser furieusement. Quand il retrouve la parole, il demande: “Com… Combien de temps avant qu’il ne reprenne connaissance, tu crois?”
-Je ne sais pas, répond Nadia, soudain submergée. Elle s’affale sur une couchette en soupirant, un œil soucieux sur Shawn.
-Il n’y a plus de connexion? S’enquit Karl après un petit bout de temps. “J’ai besoin des satellites pour le transfert de volume sur la cartographie.”
-Non, pas pour le moment, répond Nadia, catégorique. Il ne lui vient pas à l’esprit de protester et ferme son ordinateur portable pour travailler sur autre chose.
Gabriella s’est emparée de quelques portions de provision et en distribue à Nadia et à Mehdi: “Vous avez bien travaillé, il vous faut reprendre des forces.” dit-elle. Une portion finit en face de Shawn, qui est toujours inerte, le front à plat entre ses coudes.
Il change de position un petit quart d’heure plus tard quand ses batteries affichent un rechargement de 15% à l’écran. Sur ce temps, Nadia a eu le temps de débarrasser les lieux de toute la gause rougie qu’elle a fourrée dans un sac et de coincer un chiffon derrière lui pour sécher son vêtement souillé de sang.
Shawn tourne la tête de l’autre côté, la joue sur son bras comme pour dormir et, voyant du mouvement, Gabriella lui soulève la capuche un petit peu pour voir quelle tête il fait.
-ça va, ici? Interroge-t-elle, optimiste comme toujours en agitant la main devant ses yeux. “Combien de doigts?”
Il lève la tête tout d’un coup, se demandant où il est. Il n’a pas mémoire de s’être installé là et les regarde un à un l’air de se demander quel jour on est.
-T’étais parti environ une demi-heure, c’était pas long, l’informe Gabriella en reconnaissant cette expression.
Il grimace et passe une main dans son dos, où il est surpris de trouver quelque chose de plus. Il essaie de voir ce que c’est sans y parvenir et soulève ses vêtements pour trouver le bandage qui lui entoure la taille et qui contient, bien emballé, le câble enroulé deux fois autour de lui par sécurité. Il se tourne immédiatement vers Nadia avec des yeux ronds:
-Qu’est-ce que vous avez fait??
Il se lève d’un coup en attrapant le câble qui descend de son dos jusqu’à l’ordinateur.
Nadia bondit en criant un “Non !” retentissant, mais elle s'empêtre dans le peu d’espace à leur disposition et le temps de poser son verre, elle ne parvient pas à empêcher Shawn de tirer un grand coup sur le fil qui part de sa taille. Son geste furieux a pour effet de détacher la prise qui le relie à l’ordinateur. Mehdi sursaute, pétrifié, il est persuadé de regarder la mort dans les yeux en voyant l’expression de trahison sur le visage du cyborg.
Voyant la tournure de la situation, Gabriella s’éloigne du grabuge. Elle a fait bien assez pour la bonne cause aujourd’hui.
Nadia, qui avait installé Shawn dans un recoin du chariot afin qu’il n’éveille pas l’attention des autres doit réussir à dépasser les lits superposés de Karl et Medhi pour l’empêcher d’agir.
-Shawn ! Ne fais pas ça ! Crie-t-elle sans l’atteindre car Gabriella lui bloque le passage par sa simple présence dans leur espace trop restreint.
Celui-ci s’emmêle aussi avec le bandage et le fait de ne pas pouvoir bouger ses bras jusqu’au bout. Il fait sombre aussi et la fatigue lui revient aussitôt que son système ne pompe plus son énergie sur le générateur. Il pique du nez sans pouvoir contrôler l’orientation de sa tête et ça l’empêche encore plus de manœuvrer. Il s’appuie quelque part entre le mur et la structure des lits superposés sans plus toucher à rien. Il marche sur le câble mais la façon dont Nadia l’a enroulé à sa taille sert exactement à palier à ce genre de maladresse. Le bandage tient sans exercer trop de pression sur la plaie.
-Que m’arrive t-il ? Dit-il sans force.
-Tu n’as plus de jus ! Voilà ce qu’il t’arrive espèce de nigaud ! Lui répond Nadia exaspérée et inquiète. Laisse toi donc faire, on ne te veut pas de mal !
D’avoir farfouillé dans les environs de son bandage, il a trouvé un peu de sang sur ses doigts et panique. Il ne parvient plus à formuler de phrase complète et perd l’équilibre. Comme il y a assez peu d’espace où il se trouve, il tombe mollement assis, rattrapé par les bords du lit.
Gabriella en profite pour récupérer le cable qui pend et le tend à Nadia.
Aussitôt rebranché la barre de charge sur l’écran réapparaît.
Nadia soupire un peu désespérée :
-ça ne va pas être facile de lui faire comprendre la situation….
Mehdi se remet à respirer: “Il va nous trucider ! T’as vu la tronche qu’il a fait ??”
Gabriella se colle contre les placards pour la laisser s’approcher avec difficulté du cyborg.
-S’il n’est pas au courant de ce qu’il est, il y a de quoi être un peu traumatisé, tu ne crois pas ? Il doit avoir l’impression d’être chez Frankenstein.
Shawn reprend connaissance aussitôt qu’il est rebranché: “Vous m’avez drogué ou quoi ?!” s’exclame-t-il en se redressant, à nouveau confus de se trouver à un endroit où il ne se souvient pas d’avoir atterri.
-Non, ce n’est pas la drogue qui te fait perdre conscience, Shawn. Tu es arrivé dans cet état, rappelle-toi. C’est ton état de cyborg qui nécessite que tu sois rechargé régulièrement. Son ton est tranchant cette fois, elle a décidé de ne plus tergiverser pour le mettre au courant. Il n’est plus temps de prendre des précautions.
Il se lève à nouveau dans le coin, toujours aussi agité: “Si j’avais des batteries, je le saurais!”
-Heu… Tu veux miser là-dessus? Commente Mehdi de derrière l’ordinateur. Il tourne l’écran vers Shawn de manière à lui montrer un tableau de données.
Tu vois ces informations ? Je suis sûr qu’avec ta vision améliorée tu peux en lire tous les petits caractères, et tu dois bien être le seul ici à pouvoir faire cela. Si tu sais lire, tu peux voir toutes les pièces et systèmes qui font de toi un cyborg de bonne qualité…
-Je ne vois rien d’ici ! s’exclame Shawn, exaspéré.
Medhi reprend possession de l’écran et confirme déçu :
-Ah oui, mince ! Tu n’as même pas d’yeux synthétiques ! Complètement naze.
Shawn ne sait pas quoi répondre à l’insulte. Il a presque envie de répondre : “Comment ça je n’ai pas d’yeux synthétiques !” Mais se reprend à temps. Peut-être qu’il devient simplement fou.
Nadia profite du moment d’accalmie provoqué par cet instant de réflexion pour l’informer :
-Il semble que ton corps ait subi de graves lésions et que plusieurs parties ont été remplacées par des pièces de collection. Tu es donc un cyborg, mais un cyborg assez précieux, aussi si j’étais toi, et si mes amis sont d’accord, je crois que nous devrions tous faire un effort pour que Bach ne l’apprenne pas. Le connaissant il serait capable de te mettre en pièce détachée ou alors te revendre un bon prix au marché noir.
Elle regarde Medhi et Gabriella intensément.
Gabriella ne tarde pas à aller dans son sens tandis que Medhi médite la question.
Shawn les regarde les uns après les autres, puis l’écran. Finalement il s’extrait de derrière les lits pour les rejoindre à côté de l’ordinateur. Le fait qu’il se rapproche pétrifie à nouveau Mehdi, qui repense à l’alerte de recherche en se demandant ce qu’il a bien pu commettre comme crime pour valoir autant d’argent en récompense pour sa tête.
Shawn regarde l’écran: “Qu’est-ce que c’est que ça?”
-La liste des pièces synthétiques que l’ordinateur a détectées en branchant ce câble.
Nadia ajoute :
-Tu as à la base de la colonne vertébrale une prise camouflée sous la peau que nous avons mise à jour afin d’effectuer le branchement. Nous nous sommes contentés d’effectuer une petite incision, rien de plus. D’ailleurs je serais bien incapable de faire plus. Je peux concevoir des systèmes biotechniques mais sûrement pas opérer un homme pour tout remplacer ! Mais si nous n’avions pas agi de la sorte avec Medhi, tu serais sans doute mort cliniquement.
Shawn la dévisage, l’expression atterrée: “... Tu m’as coupé dedans??” Il continue d’étudier ce qui se trouve à l’écran, le visage froncé, une main pas loin de son dos parce que ça lui fait mal. Il semble capable de lire la langue dans laquelle les pièces sont affichées.
Mehdi se sent obligé de dérouler la liste et de pointer vers toutes les pièce identifiées dans l’espoir que ça lui parle, puisqu’il y en a plus d’un millier d’autres nommées seulement par numéro qui le laissent lui aussi perplexe. En déroulant la liste ils trouvent une série de muscles localisés dans la nuque et tout le long de la colonne vertébrale et Shawn passe une main sur sa propre nuque d’un drôle d’air.
D’un coup il se débranche de l’ordinateur. La liste épaisse disparaît aussitôt de l’écran avec la barre de chargement des batteries. Mehdi émet un claquement de langue exaspéré.
Shawn regarde autour d’eux, inspecte l’ordinateur de tous côtés, il regroupe le câble qui origine de lui et attend.
-Qu’est-ce que tu fous? Lance Mehdi.
-J’vous crois pas.
Mehdi roule des yeux: “Ben décharge-toi alors, je t’en prie. C’est gratuit.”
Shawn fixe Nadia, son câble en main comme s’il attendait quelque chose et après moins d’une minute la fatigue reprend et sa tête commence à descendre. Après s’être redressé de force à plusieurs reprises et continuant à sombrer, il se rebranche. Il sursaute et sa tête remonte à sa place sans problème. Cette fois il fixe l’écran avec des yeux énormes et sans lâcher le câble. La liste s’affiche à nouveau, suivie de la barre de chargement. Il recommence, sursaute à nouveau. Les trois fois suivantes, il ne sursaute plus. C’est comme s’ils n’étaient pas là, il ne fait attention qu’à l’écran et à ce qu’il ressent.
-... Comment c’est possible? Demande-t-il enfin d’une voix faible. “Je ne le sens pas, je ne le vois pas…”
Retirant sa main du câble il retire ce qui lui couvre le dos en le tirant par-dessus sa nuque, soudain torse nu, à la recherche de preuves. Le bandage lui recouvre le nombril. Il n’y a aucune trace d’opération sur son torse, rien à sa vue.
Nadia s’écarte pour fouiller dans ses affaires personnelles et en retire un petit miroir de poche.
Nadia place un miroir dans le dos de Shawn.
Shawn s’énerve et attrape le miroir et se contorsionne en grimaçant pour voir ce qu’il y a dans son dos. Il se débrouille pour jeter un coup d’oeil à ce qu’il se passe sous le bandage, brièvement, mais il y a des preuves plus faciles à trouver : quelques fines cicatrices entre ses omoplates et une très longue et très discrète qui part de l’emplacement de la prise et qui s’en va disparaître sous ses cheveux. Elle est si discrète qu’il doit s’y prendre à plusieurs reprises pour être sûr de ce qu’il voit et tirer du pouce sur la peau pour la faire apparaître avec plus de contraste. Elles correspondent toutes aux détails présentés par l’annonce de recherche, ce qui fait grincer les dents de Mehdi.
La dernière que Shawn trouve, et dont il avait connaissance, est la cicatrice beaucoup moins propre sur son nombril, qu’il regarde en écartant le bandage d’un doigt, songeur. Il reste planté là ensuite, bras ballants, le visage froncé par ses pensées. Il semble abattu, terrassé. Il s’accroupit, les coudes sur les genoux, mains croisées devant sa bouche, le regard ailleurs pour se relever un peu plus tard en allant jeter un coup d’œil à nouveau à l’écran d’ordinateur.
-ça n’affiche rien d’autre? Demande-t-il, ce qui fait tiquer Mehdi à nouveau.
-Non, répond ce dernier précipitamment avant d’ajouter le plus naturellement possible: Tu devrais t’accorder un temps de repos maintenant si tu veux être apte à remonter sur le canasson.
Shawn lui jette un regard étrangement neutre qui met Mehdi mal à l’aise, lui donnant l’impression d’être analysé quelques secondes. Mais Shawn fait ce qu’on lui suggère, il ramasse ses vêtements et retourne sur la couchette à côté de laquelle on l’a opéré, se rhabille et s’y allonge dos au mur. Il n’est pas fatigué ainsi branché au générateur mais il ferme les yeux après s’être entouré de ses bras et tâche de se reposer l’esprit.


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Message posté le 11:20 - 3 févr. 2018


Chapitre 5


Shawn est un des premiers debout à l’intérieur du chariot le lendemain matin. Il a très peu dormi mais il a la forme. Aux premières lueurs, il se faufile hors de sa couchette sans faire de bruit, ramasse son câble avec précaution jusqu’à l’ordinateur qu’il remue pour vérifier ce qui se dit à l’écran. Il s’assied devant pour consulter encore une fois la liste des objets étrangers qui se trouvent mystérieusement dans son corps et qui lui ont ruiné la vie. Les batteries affichent comme étant chargées à 100%. Il sent nettement la différence. C’est la première fois qu’il ne se sent pas exténué depuis des mois et des mois, il ne se souvenait pratiquement plus de ce que ça faisait. Il arrive à penser clairement, c’est comme si la brume s’était dissipée aussi bien dehors qu’au dedans.
Et puis l’alerte s’affiche.
Karl, à qui il restait du travail la veille a rebranché les satellites pour son ordinateur après qu’eux se soient couchés dans le fond du chariot et le formulaire automatique s’est ouvert. L’annonce de recherche s’affiche à son tour, sans bruit.
Tout le monde semble encore assoupi. Shawn lit ce qui se trouve à l’écran, le sang glacé. Quand il a pu absorber toute l’information, il débranche son câble. Il ferme le formulaire d’un tapotis sur la touche de clavier. Il y a peut-être un historique à effacer? Il n’a pas le temps d’y penser plus : Nadia l’a entendu et saute de sa propre couchette.
-Bonjour, Shawn ! Alors, ces batteries ?
Il la regarde et la salue le plus normalement possible. Après s’être étirée, elle s’arrête à côté de lui, mains sur les hanches:
-Tu as bonne mine, dis-donc!
-Je sens la différence, avoue-t-il même si l’idée ne lui plait pas vraiment. “Qu’est-ce que je vais faire de ce câble?” demande-t-il en levant le câble sous les yeux de Nadia d’un air de chien battu. “Il est très encombrant.”
-Oui, je dois le re-couper. Dans l’urgence je n’ai pas pu faire ça hier, répond Nadia, bien au courant.
Shawn repose le câble sur ses genoux, patient: “C’est long à faire?”
-Pas plus de vingt minutes. On peut le faire maintenant, tiens-toi là, propose-t-elle en se craquant les doigts.
Elle sort ses outils et mesure avec lui à quelle longueur elle doit couper le fil pour qu’il ne soit pas gêné et qu’il puisse attraper la prise seul en cas de besoin.
-ça ne te fait pas mal? Demande Nadia en tripotant le fil.
-Si.
-Plus qu’hier ou moins qu’hier?
-Pareil qu’hier.
-Je vais jeter un coup d’oeil.
Quand elle a fini de couper et de greffer une transition au câble, elle va se laver les mains au savon avant d’oser tripatouiller sa blessure. Shawn allonge un bras pour ramasser le miroir de la veille, qui a été abandonné à proximité: “Montre-moi ce que tu fais.” exige-t-il.
Ils s’arrangent pour trouver une position qui lui permette de voir et elle de manoeuvrer puis elle défait partiellement le bandage pour révéler la prise greffée à son dos. Il n’a plus saigné et tout semble normal. Nadia se contente de passer du désinfectant sur la plaie en la remuant le moins possible. L’idée de lui faire mal maintenant, alors qu’il est conscient, la dérange au plus au point.
-Tu sais comment ça t’est arrivé? Ce n’est pas de la cosmétique, on ne modifie pas les gens pour rien, demande Nadia pour faire la conversation. Elle ne sera jamais infirmière, oh ça non. Elle ne s’attendait pas à ce qu’il réponde.
-J’ai pris une balle, dit-il après y avoir pensé. “Je me souviens d’être tombé, mes jambes ne me portaient plus. Je ne sentais plus rien… C’est devenu flou très vite.”
Il se tait un moment, le miroir toujours en main mais sans regarder dedans. “Ils ont dit que j’étais mort… Apparement j’avais signé dans mon contrat qu’ils pouvaient prolonger mon mandat par ressuscitation si c’était nécessaire. Je ne m’en souviens pas. Je ne reconnais pas ma signature. J’ai une femme et un enfant en bas âge... Je ne les reconnais pas non plus.” dit-il, le regard perdu.
-Tu as oublié tout ton passé ? Interroge Nadia.
-Non. Je me souvenais d’avoir une famille, d’avoir aimé quelqu’un, dit-il en se tournant vers elle. “Mais quand nous avons été réunis, c’est comme si… Comme si c’étaient tous des imposteurs, des inconnus.”
-Alors tu es parti ? Nadia et Shawn parlent très bas pour ne réveiller personne ; Leurs visages se sont rapprochés l’un de l’autre comme pour resserrer la confidence. Le désarroi de Shawn est si tangible que Nadia voudrait le protéger. Elle se contente de le regarder fixement toute à son écoute.
Il la regarde droit d’un oeil à l’autre en se demandant s’il peut lui faire confiance puis se détourne: “Mon meilleur pote s’appelait Achilles. Je m’en souviens bien mais, lui aussi quand je l’ai revu, je ne l’ai pas reconnu. Plus que ça, je pouvais plus le piffer. Je me suis emporté, je l’ai frappé à la figure.” Il a une moue embarrassée, perturbée même. “J’aurais pas imaginé mais, je lui ai cassé tous les os du visage en faisant ça. C’était pas mon intention. Je savais même pas qu’il y avait autant d’os dans un visage… Il a porté plainte. Normal. J’ai dû repasser le test psychologique après ça, pour l’armée.” précise-t-il. “Je l’ai pas passé. Alors ils m’ont assis avec un consultant pour en reparler et il m’a dit qu’il y avait rupture de contrat. Que si je ne pouvais plus être dans les rangs, j’avais deux choix.” Il avale sa salive. “Je devais rembourser l’opération pour que les prothèses m’appartiennent, une somme qui allait me laisser avec une dette même si j’avais pu mener à bien ma carrière le reste de ma vie, ou… Ou... “ Il a du mal à finir. “Ils m’ont demandé de mourir. C’était un choix plus honorable, il a dit, pour ma famille. Ils considèreraient que j’étais mort au combat et ils collecteraient l’assurance.”
-C’est pour ça que tu es recherché alors ? Ne peut s’empêcher d’ajouter Nadia.”Tu n’avais plus le droit de travailler dans l’armée ?”
Il se tourne vers elle pour la dévisager: “Je leur ai dit oui, j’ai accepté.” dit-il. “J’avais quelques mois pour mettre mes affaires en ordre et puis… J’ai paniqué. J’ai réalisé que je connaissais aucune de ces personnes qui ponctionneraient de l’argent sur mon cadavre. Oui. C’est pour ça que je suis recherché.” avoue-t-il sans détourner les yeux. “Pour ne pas vous incriminer, je pense que nous devrions nous séparer. J’irai de mon côté lorsque nous aurons atteint la prochaine ville.” dit-il en se rasseyant, le dos tourné.
A ce moment, le grincement d’une couchette se fait entendre puis le baillement sonore de Patricia qui se réveille. Il est suivi du joyeux “Bonjour la compagnie !” de Karl qui est toujours opérationnel à peine les yeux ouverts. Nadia n’a pas eu le temps de répondre à Shawn, ni même de lui assurer son soutien. Le wagon s’est animé d’une vie propre qui met en branle tous ses occupants.

Gabriella est la première prête et ouvre la porte du chariot sur une clarté opaque qui leur apporte une bouffée de chaleur. L’air est chargé de poussière et forme une sorte de brouillard qui les empêche de voir clairement le paysage. Les parois abruptes de la vallée leur apparaissent derrière un voile jaunâtre tandis qu’au sol les quelques bouquets d’herbe rase sont recouverts d’une sorte de cendre brune.
Shawn prend vite sa place sur le canasson tandis que comme la veille Bach ferme la marche.
Gabriella avance en tête du convoi avec Karl un bloc à la main et une grosse sacoche.
Si le cartographe a cherché à entamer la discussion avec sa collègue biologiste, il a bien vite abandonné car celle-ci ne semble pas l’entendre. Elle porte en bandoulière un boitier composé d’une myriade de petites cases dans lesquelles elle dépose des échantillons de tout nouvel être vivant qu’elle rencontre. La flore est très réduite, la faune encore plus, mais Gabriella note consciencieusement ses observations sur son carnet électronique sans ralentir sa marche. Alors Karl se concentre sur les roches et poussières qui l’entourent et copie son alter ego en collectant lui aussi des échantillons afin de les analyser en soirée. Il soupire régulièrement soulageant ainsi son ennui.
Au bout d’un moment, il abandonne Gabriella pour rejoindre Patricia plus volubile.
Quand il arrive près d’elle,Patricia peste en regardant l’écran de son appareil photo.
En le voyant, elle ronchonne :
-Je n’arrive à rien prendre correctement. Cette poussière est trop dense. Même en me plaçant au plus près ou à l’abri je n’ai qu’un écran jaune, regarde !
Elle fait défiler une série de prises de vue toute aussi floues les unes que les autres et en désespoir de cause se met à le photographier lui et leur compagnon.
Nadia marche près du chariot pendant un bon moment, puis elle monte en marche. Medhi qui l’observe sans parler depuis leur départ la suit.
A peine entré, il referme la porte derrière lui et dit :
-Il faut qu’on parle.
Son ton est sec et brutal ce qui ne lui ressemble pas. Il est nerveux.
-Tu vas continuer à ignorer ce qu’on a vu hier soir à l’écran ? Lance-t-il. “C’est lui, c’est un criminel, on aide un criminel recherché ! On ne peut pas faire semblant de ne pas savoir, on est complice !” s’exclame-t-il aussi discrètement que possible mais en ayant du mal à contenir son agitation.
Bien que remuée intérieurement par les propos de Medhi, Nadia lui présente un visage imperturbable.
-Il est annoncé criminel mais ça ne veut pas dire qu’il en soit un. J’ai parlé avec lui ce matin et il a su se confier sur son passé. Le seul crime qu’il ait commis est de devoir rembourser son opération ou mourir ! Tu ferais quoi toi dans ce cas là, tu ne fuirais pas ?
Mehdi est tour à tour surpris et offusqué, il pose les mains sur les hanches et s’agite :
-Ah bon, d’accord ! Vous copinez ? Tu le connais ? Qu’est-ce qui te fait croire que c’est la vérité et qu’il n’essaie pas de t’embobiner ? C’est pratique son histoire larmoyante juste après avoir vu qu’il y a des infos sur lui sur le réseau, nan ?
Nadia ne parvient pas à garder sa superbe. Son masque impassible fait place à la tristesse. Une tristesse qui semble provenir du fond de sa carcasse. Une foule de souvenirs viennent l’assaillir, elle est presque submergée. Elle s’assoit et au bout d’un moment s’exprime lentement :
-Lorsque j’avais ton âge à peu près, il y a une dizaine d’années, j’ai travaillé à Mercia pour une firme attachée à la Défense spécialisée dans la création de cyborgs. J’avais été embauchée suite à mes travaux de fin d’études que j’avais menés avec le professeur Chamal dont tu as du entendre parler pendant ta thèse. Nous avions mis au point un système d’exploitation infomécanique ultra sophistiqué pouvant être branché sur pile turbodermique. Ces travaux interessaient l’armée qui voulait concevoir une nouvelle génération de cyborg humains indétectables et légers, capables de soigner naturellement leurs blessures : Les cyborganiques. Ils voulaient débarrasser la cybernétique de sa lourde maintenance à long terme par des cyborgs pratiquement autonomes. Nous avons travaillé avec des spécialistes très pointus en biologie humaine et mécanique légère. Le résultat est l’homme que nous avons parmi nous. Nous avons conçu des Shawns... Très peu car la technologie utilisée est neuve, complexe et encore extrêmement coûteuse. Comme l’installation était difficile le produit final était rare, il n’était pas question de procéder à de telles transformations sur un terrain psychologiquement perturbé. Seuls des soldats de valeur sûre pouvaient bénéficier de l’opération. Alors, je ne crois pas qu’on ait à craindre de Shawn lui-même.
Par contre, je crois qu’on a tout à craindre de l’armée parce que les chefs du Service en question sont des crapules finies. J’ai volontairement quitté les Forges de Samotras suite à leurs exactions.
Mehdie l’observe avec attention, atterré.
-Tu… Tu as travaillé dans les Forges de Samotras??
Il tombe des lunes. “Attends mais tu es en train de dire que… La cyborganique est une vraie technologie?? Mercia emploie vraiment les Forges de Samotras pour faire de la cyborganique? Je pensais que c’était une rumeur pour faire du buzz, même le professeur Chamal a dit que tout ça c’était resté dans des carnets de notes, il en rigolait ! Bahahah, des cyborgs autonomes, ahahah, qu’il disait! Nan, tu te fiches de moi.” déclare-t-il avec des grands gestes en une imitation assez convaincante du professeur. Ce disant il se faufile jusqu’à l’ordinateur qui a servi à recharger les batteries du cyborg. En quelques clics, il a pu ramener le formulaire à l’écran mais les entrées automatiques sont vides : elles sont criptées pour être remplies par le système en cours de connexion. Il n’y a rien à envoyer.
-Mehdi! S’exclame Nadia en le rejoignant. “Tu ne comprends pas. Ce n’est pas un criminel, c’est un endetté, un esclave du prix de sa propre vie!”
-Tu serais surprise d’apprendre ce qu’un homme en dette est capable de faire… réplique Mehdi, le front froncé, en la toisant.
-Un homme rattrapé par sa dette va en prison, Mehdi. Un cyborg en dette de son corps, on lui retire son corps, Mehdi. Tu sais ce qui va lui arriver si les autorités le rattrapent? Il sera anesthésié, découpé en morceaux pour récupérer les parts synthétiques. Tu te rappelles de la liste? Toutes les vertèbres, le coeur, les artères, récupérées pour être ré-utilisées et le reste sera vendu sous formes de donations d’organes parce qu’il est leur propriété. Et il le sait. Il le sait!
Mehdi fait de grand yeux ronds. Elle lui a presque crié la fin au visage.
-Tu ne veux pas te salir les mains, je le comprends bien. Mais je veux que tu saches qu’en le rapportant, tu te les couvres de sang! Crache-t-elle, furieuse contre ce système qui abuse des gens tels que Shawn, ce système qu’elle a bien connu et qui la répugne encore, même ici au milieu de rien. Ses mains en tremblent.
Mehdi écarte très lentement ses doigts du clavier. Il a enfin compris.
-Dans ce cas… Que propose-tu que nous fassions? Demande-t-il après un bref silence de réflexion.
Elle hésite.
-Il a proposé de se séparer de nous une fois la prochaine ville atteinte, dit-elle.
-C’est bientôt, ça, non?
-Ce soir ou demain, confirme-t-elle.
L’idée semble convenir à Mehdi. Il ne dit rien pour contredire le concept même s’il se demande si le cyborg survivrait seul dans cette région sinistrée et pleine de brume chaque soir. Nadia se le demande aussi, l’expression soucieuse.
-L’annonce est en ligne depuis huit mois, il n’a jamais eu ses batteries rechargées avant… Maintenant elles sont chargées. Il devrait tenir le coup s’il s’abrite de la brume, nan? Remarque Mehdi pour l’apaiser un peu. Se disant il s’éloigne de l’ordinateur.

De son côté, Shawn ne se doute pas que son sort est en pourparler et qu’il se tient sur une corde raide. Il a la tête complètement vide, assommé par la notion d’avoir été à ce point modifié, de devoir s’habituer à porter cette prise à la taille et qui le pique dans le dos à chaque mouvement. Il marche sans aucune pensée à côté du Daemon dont la marche rythmée le réconforte. Ils ont tous les deux un peu d’une machine, après tout. Mais tout ce que Nadia lui explique a du sens. Peut-être pourra t-il en apprendre plus.
La large vallée poussiéreuse du matin s’est révélée être une douceur face à la montée en terrain rocailleux. L’air respiré est si sec qu’il détruit gorge et yeux et chacun porte un foulard pour s’en protéger. Le climat désertique du fond de la vallée a usé les énergies de tous les marcheurs qu’ils soient mécaniques ou humains. Le col n’est plus très loin et la pause est attendue par tous pendant laquelle les articulations des sabots de Canasson mériteront d’être huilées. Même Bach à l’arrière du convoi peine un peu à porter sa cuirasse. Seul Torpède semble subir l’épreuve de la montée sans souffler.
Gabriella a gardé son avance sur le groupe, sans doute trop concentrée à rechercher un peu de vivant dans ce no man’s land pour se préoccuper de son sort.
Quand elle aperçoit le premier petit arbuste de la matinée, elle court vers lui comme vers son amoureux. Ce n’est qu’un petit euphorbe de quelques dizaines de centimètres mais ses feuilles épaisses et vernissées symbolisent à elles-seules un regain de vie. Plus loin les touffes rosées d’un bouquet d’oseille sauvage se détachent sur la caillasse. Gabriella ponctionne sur chaque les échantillons qu’elle analysera plus tard dans le calme de la soirée.
En contournant une roche monumentale aux allures d’éléphant, elle s’arrête béate. Devant elle se dresse un bel acacia seul dans un nid minéral. Ses dures épines sont bien plus courtes que celles appartenant aux arbres du parc Sholnès, mais il a dans ce site une majesté incontestable.
Soudain, elle perçoit un mouvement tout près d’elle. Vive, elle a juste le temps d’apercevoir un petit animal sombre qui se faufile entre des cailloux. Au même moment, elle entend Bach hurler dans le lointain. Sans comprendre ce qu’il braille elle se dit qu’elle s’est écartée plus que de raison. Mais l’animal entraperçu s’est retiré à l’abri d’un rocher et elle peut maintenant contempler la bête sans difficulté. Il a toutes les caractéristiques du scorpion commun, seule sa couleur légèrement rougeâtre semble le distinguer et en y regardant d’un peu plus près, il a l’air un peu touffu ou recouvert d’une mousse que quelques épines phosphorescentes traversent. Très étrange.
-Arrêtez le chariot!! Beugle Bach au loin à nouveau. Sa grosse voix en fait sursauter plus d’un et Torpède freine le canasson pour stopper devant un raidillon qui, après réflexion, a l’air d’un obstacle de taille quant à la lourdeur de ce chariot.
Mais ce n’est pas ce qui fâche Bach. Ce dernier a remarqué un véhicule en approche derrière eux et se méfie d’une embuscade. Il a raison. D’un réflexe, il se dépêche de grimper sur le toît du chariot où son épée est bâchée. Le véhicule en approche, une énorme pelleteuse minière sur quatre énormes pneus à épines soulève un nuage de poussière dans son mouvement et grimpe soudainement sur la route en provenance d’un ravin, indifférente à la raideur de la pente et vient se poster juste derrière le chariot. À bord, deux bandits armés de fusils mais surtout protégés derrière la vitre épaisse de leur véhicule pratiquement blindé.
À l’avant du chariot, Shawn et Torpède se sont retournés pour voir le grabuge arriver. Tandis que Torpède attend des ordres de son maître, Shawn se rappelle avoir vu Gabriella au-devant d’eux moins d’une minute auparavant et, supposant le pire, quitte le convoi d’un bond vers les fourrés, hors du chemin, abandonnant le chien et le cheval. En un clin d’oeil, il est hors de vue.
-Shawn?? S’exclame Torpède, perdu.
Une douzaine de bandits descendent la pente à ce moment, armés de carabines, de haches et d’arbalètes. Un certain nombre d’entre eux sont visiblement modifiés de parts cybernétiques rouillées et poussiéreuses. Un homme très large à moustache tient Gabriella en otage au creux de son bras, une machette sous sa gorge. Il rivalise de taille et d’armure avec Bach sauf que sa cuirasse à lui est incomplète et moins bien huilée.
-On va faire les choses simplement ! S’exclame le bandit avant d’apercevoir le reste des membres de l’équipe. Il semble reconnaître Bach. “Mais c’est Bach Le Puissant ! Ma parole !”
Bach ne fait pas signe de le connaître. “Tu ne te rappelles pas ? C’est moi ! Jon Le Bronze !” insiste le brigand avant de se mettre à rire, un peu déçu. “Ah ben, ignore donc tes vieux camarades. Tu vas me donner ton chariot et ce Daemon qui a l’air de fort bien tourner. Toi et ton chien allez commencer par poser vos armes à vos pieds ! Pas de geste brusque ou celle-ci va se mettre à sourire de la nuque.” menace-t-il en secouant son otage.
Bach a sa carabine en main, pointée vers eux depuis leur arrivée. Les bandits au volant de la pelleteuse sont sortis à moitié, perchés sur chaque portière avec une arbalète et un fusil vers eux.
-Tu l’amoches et je t’explose la cervelle… menace Bach sans rien poser du tout.
-Je ne te crois pas si bon tireur, mon p’tit Bach, réplique l’autre, pas vraiment impressionné. “Sois gentil et peut-être que je te laisserai repartir avec ton chien.” Il pointe son gros bras vers les scientifiques: “Vous autres, allongez-vous sur le bas de la route ! Mains sur la nuque, face contre terre bien sagement !”
Karl, Mehdi et Prumol, désemparés, sont les premiers à exécuter ses ordres, alarmés. Torpède grogne en direction des bandits en en visant un à la fois avec son fusil, sachant très bien qu’il ne peut en abattre qu’un seul et que l’ennemi est en surnombre.
-Torpède, tu lâches rien… gronde Bach.
Le bruit d’une hachette fendant l’air au-dessus des bandits les surprend et se plante dans le haut du crâne de Jon Le Bronze. Bach n’attend pas mieux, il fait feu dans la poitrine du premier bandit à droite du Bronze et Torpède tire dans celui directement à sa gauche. Le large homme tombe en avant inerte, s’écrasant face contre la poussière avec Gabriella sous son bras, le couteau tombé à ses pieds. Shawn surgit derrière eux du haut des rochers et tombe sur le quatrième bandit en lui brisant les côtes. Un moment de panique s'ensuit parmi les brigands qui n’attendaient pas une attaque surprise dans leur dos. Ces quelques secondes de débâcle pour se retourner et localiser la menace est suffisante pour le cyborg, qui a déjà anéanti le bandit suivant d’un coup de coude au milieu du front qui laisse un creux. Bach a rechargé sa carabine et descend le sixième. La vague s’est inversée : Les cinq truands qui tiennent encore debout dérapent et font demi-tour dans la pente en panique alors que Shawn est encore parmi eux. Il en attrape un par la cheville et le tire à lui sur le gravier qui fait glisser le bandit à lui. Deux coups de poings rapides lui renfoncent la joue dans la tête et il ne bouge plus. Shawn l’enjambe pour poursuivre ceux qui restent mais, à mi chemin vers le sommet il aperçoit l’autre moitié de l’embuscade, une large butte de gravat et de pierres barrant le chemin. Il abandonne sa poursuite et redescend, si pressé qu’il descend presque tout en dérapage jusqu’à Torpède.
Au bout du convoi, les deux bandits à bord de la pelleteuse referment leurs portières et s’apprêtent à faire marche arrière.
-Torpède ! Détache le cheval ! S’écrie Shawn en arrachant la hache au crâne du défunt Jon Le Bronze. Il s’en sert pour couper un des liens qui relient le Daemon au chariot et bondit sur le cheval. Torpède s’emmêle les pattes mais parvient tout juste à déboucler la lanière tandis que le Daemon furieux démarre pour un demi-tour. Shawn le lance au triple galop le long du chariot en espérant ne piétiner personne mais il n’a pas vraiment le temps d’y penser. Il poursuit la pelleteuse qui est partie à fond de pédale en marche arrière sur la route.
Le cheval cornu, débarrassé de son immense chariot à tirer, déploie sa force phénoménale pour rattraper le véhicule dans le nuage de poussière qui traîne derrière. En panique, le conducteur de la pelleteuse vire pour pousser son véhicule hors de la route mais se coince contre une dune de sable. Pour ne pas les manquer, Shawn saute du cheval et atterrit à peu près lourdement sur la portière qu’il parvient à ouvrir en s’y prenant à deux fois. Plus rapide que la moyenne humaine grâce à son système nerveux central synthétique et harmonisé, il enfonce la hachette dans la jambe du passager avant que celui-ci n’ait le temps d’extraire un pistolet d’une pochette, mais seulement parce qu’il manquait d’espace de manoeuvre pour porter un coup à sa poitrine ou à sa tête. Shawn saisit le bandit hurlant par la veste et le jette hors du véhicule désormais à l’arrêt. Le conducteur abandonne son compagnon en sautant par sa propre portière et s’enfuit à pied, blanc comme neige. Shawn descend du véhicule pour finir sa cible, s’avançant pour reprendre la hachette mais le bandit, qui est tombé avec son fusil, l’accueille avec un coup de crosse dans la figure. Shawn attrape le fusil tendu ainsi vers lui et presse la gâchette au cas où, presque comme une blague. Le fusil détonne sur son propriétaire. Sous l’effet de l’adrénaline, Shawn en éclate de rire puis tousse comme un furieux dans la poussière qui redescend. Il fouille frénétiquement le corps inerte pour collecter quelques cartouches et recharge le fusil avant de grimper à nouveau sur la pelleteuse, sur le toit cette fois. Il cherche des yeux le bandit qui s’est enfui et qui court en terrain pour le moment découvert. Shawn vise, tire, le manque. Il recharge et prend son temps, tire et manque encore une fois. Au quatrième essai le bandit s’étale et Shawn s’arrête, assis, pour regarder autour de lui.
Le cheval est parti. Il a continué tout droit et rapetisse, un petit nuage de poussière à distance. Il n’est pas prêt de s’arrêter. Shawn expire et soupire, appuyé d’un bras sur le fusil à la verticale. Après la fatigue constante des derniers mois, cet épisode l’a à peine essoufflé. Il se sent en pleine forme. Quelle différence. Il pourrait le refaire tout de suite.
Torpède le rejoint en courant, langue pendante.
-Le véhicule est sous contrôle ?? Lance le chien entre deux bouffées d’air.
-Affirmatif, répond Shawn. “Monte !”
Ils reviennent à bord de l’énorme pelleteuse, Torpède au volant, Shawn adossé sur un coude à la fenêtre. Entre temps, Bach a commencé à aligner les corps des bandits sur le bas côté et à leur vider les poches. Il se redresse à leur arrivée d’un regard mécontent.
Shawn fait arrêter la pelleteuse à hauteur de Nadia. “J’ai perdu le cheval… Mais je serais ravi de vous prêter ma pelleteuse.” déclare-t-il sans pouvoir se retenir d’étirer un sourire. Le coup de crosse lui a fendu le visage entre l’oeil et le nez et il a du sang jusque sur le menton mais il a l’air de bien s’amuser, surtout de l’expression de Bach, qu’il regarde de haut.
-Je peux savoir à quoi ça servait de changer de véhicule? Interroge le guerrier, jaloux de ne pas y avoir pensé.
-J’ai cru voir un barrage de gravier en haut de la pente, répond Shawn en frappant sur la portière. “On va aller déblayer la route et puis on l’attachera au-devant du chariot… En plus, je doute que le Daemon ait pu nous tirer jusque là en haut. C’est raide et ça glisse.”
Torpède se penche aussi de sa fenêtre pour si tout le monde est en état de se mettre hors du chemin.
“Hé, Bach?” continue Shawn en redevenant sérieux.
Le guerrier se tourne vers eux d’un air sombre. Il n’aime pas qu’on le regarde de haut. En tout autre temps, c’est lui qui regarde de haut.
-Je te dois rien ! Lance Shawn. “Je pense même que tu devrais me payer pour rester… J’accepte ma dague en payement pour aujourd’hui.” dit-il en tendant la main.
-Oh, oui comme ça je peux récupérer ma hachette! Remarque Torpède avec enthousiasme.
-Il reste des bandits en haut, passe ma dague, insiste Shawn.
Bach fulmine, des petits yeux assassins vers Shawn mais consent à détacher la dague de sa ceinture pour la jeter vers la fenêtre. Shawn l’attrape et ils contournent le chariot de travers, à moitié sur la route et à moitié sur les buissons, pour s’en aller déblayer le chemin.
Torpède en profite pour lui rappeler :
-D’ailleurs je la veux bien maintenant!
Shawn remplace la hachette à sa ceinture par sa dague de zélote, une arme bien plus appropriée à ses mouvements. Par politesse, il essuie la lame souillée avec un bout de chiffon avant de la rendre à son propriétaire.
-Merci bien! C’est pas qu’elle ne se prête pas à fendre des crânes mais d’habitude je m’en sers pour couper du bois ! Remarque Torpède, très satisfait de la récupérer.

Ils se frayent un passage parmi les corps et les hommes à présent réunis, Torpède précautionneux au volant de la machine.
Shawn note que Gabriella a l’air mal en point. Assise, adossée au chariot, elle tend son visage à Karl qui a sorti le coffret métallique contenant la pharmacie. Il peut admirer au passage son visage tuméfié.
Alors que l’engin dépasse le charriot, Nadia s’approche du couple. Se penchant sur Gabriella pour voir les dégats, elle dit :
-Tu t’en sors bien. Un bon coquard, des plaies et bosses et même un bras tordu, c’est pas cher payé pour une étourdie dans ton genre. Tu aurais pu y rester.
Son ton est dur, quand elle se redresse elle surplombe Gabriella et s’apprête à la molester d’un discours circonstancié sur son comportement quand Karl s’interpose :
-Laisse-la Nadia, c’est pas le moment. Elle est sonnée, on a tous eu une peur bleue et elle plus que tout autre.
Mais Nadia ne s’en laisse pas compter.
-Oui, mais elle doit comprendre qu’elle ne peut plus s’écarter du convoi ainsi. Elle a failli empêcher toute défense possible en se faisant prendre. Sans Shawn, nous serions sans doute tous morts.
Bach se braque à ces paroles :
-Vous auriez fini allongés sur le bas côté avec une balle dans la nuque… Moi pas, corrige-t-il sombrement.
-Peu importe. Dit Nadia “Je ne tolèrerais plus qu’un de nous s’écarte du groupe. En cas de besoin, nous devons nous faire accompagner d’un des hommes de garde… Ou de Shawn…” ajoute-t-elle en lui souriant.
Bach fronce le visage encore un peu plus à cette pique et continue de se remplir les poches du contenu de celles des bandits. Elle repousse du bras Patricia qui a entrepris d’immortaliser le moment et qui après avoir photographié les cadavres un à un, prend un gros plan des protagonistes. Bach pose bien volontiers, droit la main appuyé sur son fusil posé la crosse au sol, le visage mauvais. Les conducteurs de la pelleteuse sont déjà en haut de la pente, bien hors de vue mais on entend le moteur gronder. Les bandits avaient bien monté leur coup. Au sommet de la pente les attend un barrage monté de rocs et de troncs mêlés. Ils n’auraient pu fuir sans combattre tous les hommes armés qui devaient être nombreux au regard du nombre de morts et du monticule de la barricade. La pelleteuse avait son utilité.
Ils ne trouvent pas les fuyards. Ces derniers possédaient certainement un ou deux véhicules supplémentaires car il y a des traces de roue et de dérapage sur la route mais plus personne. En deux trois tours, Torpède et Shawn ont amplement dégagé le chemin. Sans la pelleteuse, cette tâche leur aurait tous pris le reste de la journée. En dix minutes, c’est fait et ils redescendent, en marche arrière cette fois, pour arrêter le véhicule devant le chariot où le Daemon se trouvait plus tôt.
Mehdi est encore sous le choc. Il n’a jamais vu autant de cadavres réunis, n’a jamais vu quelqu’un être tué et lorsque Bach en a achevé un ou deux à coups de crosse devant eux, ça l’a complètement secoué. C’est Nadia qui doit travailler avec Shawn et Torpède pour fabriquer un attachement suffisamment solide pour la pelleteuse.
L’adrénaline le quittant, Shawn commence à sentir où il s’est cogné et éraflé dans l’action, notamment sur son atterrissage sur la portière. Il a des bleus sur les coudes, sur les jambes, son oeil gauche coule à force de sang et de poussière et son dos le lance où la prise se trouve. Il ne s’en plaind pas mais il fait moins le fier.
Enfin, le convoi est prêt à se remettre en mouvement. Torpède est Shawn prennent place au volant de la pelleteuse et décident de tirer le chariot dans la montée sans personne dedans (ni dessus, Bach !) pour l’alléger mais l’équipe a d’abord dû s’organiser à l’intérieur pour tout attacher afin d’empêcher le matériel de dégringoler au moment de la montée. Seule Gabriella a le droit de s’asseoir entre eux dans la pelleteuse pour être transportée. Ce n’est pas beaucoup plus confortable que si elle avait dû marcher avec les autres mais c’est moins long.
Un gros bruit de moteur et le véhicule minier emporte le chariot tout en haut de la pente le plus doucement possible pour ne rien abîmer de son contenu électronique. Le reste de l’équipe suit avec Bach quand celui-ci a jugé que le véhicule ne re-descendrait pas sur eux et l’obstacle est surmonté.
Nadia et Karl se précipitent à l’intérieur du chariot pour s’assurer que rien n’est cassé. Quelques affaires ont volé vers l’arrière du chariot mais en général, rien de coûteux n’a été endommagé. C’est un succès. Bach les fait monter à bord et ordonne la reprise du chemin immédiatement. La route est longue avant d’arriver sur la zone contaminée et jusqu’ici interdite à quiconque. L’espace de sécurité décrété par le gouvernement n’en finit pas de s’étendre. Ils ont prévu de rejoindre les premières traces de cette civilisation abandonnée avant la nuit.


Dans ton dos avec un beanie, un hamburger et un fusil.
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Message posté le 11:51 - 3 févr. 2018


Chapitre 6


Une heure plus tard, ils ont atteint les limites d’une vaste ville fantôme qu’ils appréhendent avec prudence. Ils ont beau avoir vaincu ce petit groupe de bandits et tué leur chef, ils savent qu’il en reste et d’autres groupes de hors la loi arpentent cette ville pour les mêmes raisons qu’eux (moins l’exploration scientifique). Ils demeurent en banlieue de la ville et Bach, Torpède et Shawn s’arrangent assez longuement pour se sélectionner un poste qui leur permette de s’abriter de la brume, de voir et de se défendre en cas d’attaque. La nuit va bientôt tomber lorsqu’ils garent le convoi au couvert d’une petite tour de garde, entre un hotel et une caserne intacte. Ils devront faire le plein d’essence pour la pelleteuse dès que possible. Torpède s’est déjà porté volontaire pour cette expédition le lendemain matin.
Shawn espère trouver une salle de bain avec l’eau courante dans l'hôtel. Il ne se rappelle pas de la dernière douche qu’il a prise et ses vêtements ont pris une odeur rance de vieux sang qui devient très désagréable. Ils divisent l’équipe eu deux pour organiser une expédition immédiate avec l’hygiène pour mission. Bach accompagne, il se laverait bien aussi. Ils trouvent une suite de chambres avec un restant d’eau courante, d’autres non. Les femmes reçoivent priorité sur l’eau mais ils conservent ce qu’ils peuvent et décident de garder l’eau qui leur arrive dans chaque bain. On lave les vêtements dans l’un et les personnes dans l’autre.
Shawn fouille les lieux pour trouver de quoi se vêtir pendant qu’il savonne et rince abondamment ses vêtements dégueulasses. Ensuite il faut attendre que ça sèche. Il y a beau y avoir encore de l’eau dans les tuyauteries, l’électricité a été coupée il y a fort longtemps. Des vêtements de rechange ils en trouvent en quantité en cherchant un peu.
Torpède monte la garde au chariot avec Karl, Mehdi et Prumol en attendant leur retour.
A tout bien y considérer, ils ont eu de la chance de trouver des conduits d’eau en parfait état car la cité a perdu de sa splendeur. La rouille est partout présente et commence à faire ses ravages. Le métal exposé à l’air libre et aux brusques changements de températures diurnes s’oxyde à vive allure. La voie ferrée aérienne n’est plus qu’un souvenir que viennent raviver les rails qui s’écroulent. Si les pilleurs n’ont pas jugé bon d’emporter les meubles ou draps, ils ont récupéré les métaux précieux démontant les parties sensibles de certaines structures. Il faut dire que monter une expédition jusqu’à ces contrées excentrées et dangereuses est déjà un tour de force et nécessite un équipement résistant et cher. Pas étonnant que les bandits ne s’en prennent qu’à ce qui pourra être recyclé pour de l’or.

Avant de pouvoir terminer leurs lavages, ils se retrouvent coincés dans l’hotel par l’arrivée subite de la brume nocturne.
Shawn a rempli une bassine d’eau froide de la douche où il a imbibé ses vêtements de javel et se nettoie au lavabo en tournant le dos à l’odeur très rance qui lui déplaît en particulier, celle de Bach, avec qui il préfère ne pas partager d’eau crasseuse. Qui sait quel genre d’horrible infection il attraperait en baignant sa plaie dans ce qui se cache depuis des mois sous l’armure du guerrier.
Bach ne semble pas s’en rendre compte mais il n’a aucun remord à prendre possession de toute l’eau de la baignoire. Il s’y trempe, se rince rapidement avec un peu de savon et en ressort, sûrement trop tôt pour avoir tout décrassé et se sèche en ruinant quelques serviettes de bain poussiéreuses qu’il a fallu secouer auparavant. Il fait toute sorte de bruits sans parler et Shawn l’écoute d’une oreille. Il a trouvé un pantalon de rechange qui n’est pas tout à fait à sa taille et qu’il retouche pour être plus à l’aise dedans. Il ne s’attend à rien de particulier lorsque Bach s’approche derrière lui de ce côté de la baignoire et qu’il lui entoure soudainement la gorge de sa ceinture. Shawn est aussitôt soulevé du carrelage et suffoque, étranglé. Bach le maintient en suspension pratiquement sans faire d’effort, il n’a pas besoin de lever les bras très haut ni très loin devant lui pour créer de la distance entre Shawn et lui mais pour être sûr, il balance le cyborg et le plie en avant contre un meuble, ses jambes derrière ses jambes, son poids entier contre lui pour l’empêcher de se débattre et un poing serré autour de la ceinture pour garder la pression sur sa jugulaire.
Shawn se trouve dans l’impossibilité de bouger ou d’appeler à l’aide. L’odeur forte du corps de Bach contre le sien le répulse en plus de la sensation d’asphyxie et l’étouffement sous la pression de son poids sur sa cage thoracique.
-Tu crois que t’es le boss ici, c’est ça ? murmure Bach tout près de sa tête. “Tu te crois le plus malin parce que t’as fait une carrière de zélote ? Permets-moi de te remettre les idées en place...”
Bach se dégage l’entre-jambe et baisse le pantalon de Shawn qui tombait un peu, faute d’être à la bonne taille. Il allait se mettre à l’oeuvre lorsqu’il entend des pas dans le couloir en provenance de la suite voisine. Il attrape Shawn par l'intermédiaire de la ceinture et le jette assis à ses pieds contre le meuble. La ceinture dégringole, Shawn peut respirer. Bach demeure debout où il se trouve, dénudé et sans trouver très urgent de se couvrir lorsque Nadia frappe à la porte de la salle de bain. Le temps qu’elle demande permission pour entrer et qu’il approuve il est tout de même partiellement recouvert et la regarde entrer, ceinture en main.
-C’est à quel sujet? Interroge Bach d’un ton neutre.
Shawn est recroquevillé entre les jambes de Bach et le meuble, les yeux écarquillés, ébahi par l’apparition de Nadia comme si un Ange gardien était entré.
Nadia ne répond pas à Bach. Son regard passe du soldat au cyborg en un aller et retour infructueux. Elle s’est redressée de toute sa hauteur, le cou allongé à son maximum et les mâchoires serrées. Elle a bien compris qu’une altercation a lieu entre les deux hommes et elle a besoin de toute son autorité face aux mâles hormones déployées dans cette salle.
-Que se passe-t-il ici ?
-On se lave… Pareil que vous, répond Bach de mauvaise fois, l’expression sérieuse et un peu agacée en observant Nadia de haut en bas.
Shawn se masse la gorge puis s’extirpe fébrilement d’entre le meuble et Bach en remontant son pantalon qui tombe. L’air ailleurs, il ramasse le récipient où baignent ses vêtements et en vide l’eau sale dans l’évier sans rien dire.
Les yeux suspicieux de Nadia en disent longs sur ses pensées. Elle n’est pas dupe mais s’interroge encore comment intervenir dans cette dispute dont elle ne maîtrise aucun des éléments.
-Vous vous lavez ?... Je vois... Elle n’a toutefois pas envie de quitter l’embrasure de la porte encore interdite de voir Shawn agenouillé aux pieds de Bach. “Je venais pour changer les bandages de Shawn. A côté peut-être ? Je t’attends là-bas Shwan si tu veux bien.”
Alors qu’elle se détourne, elle ne peut s’empêcher de lancer à Bach un regard qui en dit long sur le fait qu’elle n’est pas dupe. Son regard n’a pas besoin de parole. Bach vient de se faire une ennemie qui ne le loupera pas au prochain écart.
Bach fait mine de l’ignorer mais il a bien reçu le message. Shawn acquiesce et se dépêche d’essorer ses vêtements pour la suivre. Il est presque sorti de la salle de bain en courant pour rejoindre Nadia, qu’elle doive réellement changer ses pansement ou non. Il est soulagé d’être d’avoir quelques murs entre Bach et lui.
-Tout se passe bien de votre côté? Demande-t-il pour faire la conversation, embarrassé, se séchant les mains sur son pantalon adoptif.
Mais Nadia n’est pas disposée à mener une banale conversation et décide d’entrer dans le vif du sujet.
-Vous vous battiez n’est-ce pas ? Que s’est-il passé entre vous ?
-Heu… Non, il… Il a essayé de m’intimider. Violemment, bafouille Shawn en cherchant ses mots, encore secoué par ce qui vient de lui arriver. Il, heu… Il est plus dangereux que ce que je pensais, avoue-t-il.
-Bach n’est pas un homme facile, mais jusqu’ici il n’avait encore agressé personne de l’expédition. Vous l’avez provoqué peut-être ?
Nadia est bien consciente que Shawn a été choqué. Elle ne sait plus quoi penser de Bach. Leur protecteur a du le surprendre pour qu’il n’ait pas le dessus à moins qu’il ne soit vraiment plus puissant que sa seule renommée lui a révélé.
-Vous avez peut-être eu de la chance. Il m’a tout de suite fait comprendre à qui j’avais affaire lorsque j’ai approché votre chariot. Ce n’est pas la première fois qu’il m’agresse. Je sais qu’il cherche une excuse pour m’abattre. C’était plus qu’idiot de ma part de le provoquer toute à l’heure, commente Shawn en s’agitant.
Il regarde les fenêtres embuées de l’hotel. Un vent fort s’est levé sur la ville qui l’embrasse d’une tempête de sable. Il n’y a aucune visibilité. On ne voit même pas le chariot.
-Il ne faut plus le laisser seul avec qui que ce soit, c’est trop dangereux, reprend Shawn en regardant Nadia très sérieusement. “Bach est malicieux... Il vous a trompés. Il ne peut pas être votre protecteur. Même son épée est une façade, elle ne fonctionne pas. C’est un arnaqueur. Je pense qu’il a embobiné Torpède aussi. Jusqu’ici je m’inquiétais pour moi, ce n’est pas la première fois qu’il essaie de m’intimider... Mais je m’inquiète pour vous désormais.” finit-il à voix basse.
Les paroles de Shawn font échos à l’état de ses sentiments envers Bach qui prend depuis quelques temps des attitudes qu’elle qualifie volontiers de malsaines pour la cohésion de l’équipe. Sensible aux volontés de l’homme de dominer Torpède ou de prendre sa place en matière de commandement, elle ne supporte pas son machisme mal placé au sein de l’expédition. A vrai dire, son attitude de ce soir lui parait dans la droite logique de sa conduite antérieure. Comme elle en arrive à la conclusion que Shawn ne peut être qu’un rival dans l’esprit machiavélique de leur gardien, elle ne sait que faire.
-J’en suis de plus en plus consciente. Soupire-t-elle. Mais que faire ? Il est impossible pour nous de continuer sans lui, sans compter que dans le cas où je le congédierais il y a de bonnes chances qu’il cherche à se venger et nous serions alors doublement en danger.
Elle réfléchit longuement dans le silence qui prolonge cette constatation qui lui fait froid dans le dos avant de proposer :
-Accepterais-tu de rester avec nous afin de nous protéger ? Nous pourrions avoir un véritable arrangement qui te donnera une position dans le groupe. Mais il faudrait que j’en parle à mes collègues pour connaître leur avis.
Elle ajoute d’un air entendu : Il est évident que dans ce cas nous ferions notre possible pour que ta position ne soit pas dévoilée.
Shawn hoche la tête.
-S’il n’y avait que Bach, je le tuerais. Ce serait ma solution, répond Shawn sans hésiter. “Mais je ne sais pas si Torpède ne se retournerait pas contre moi dans cette situation. Je ne crois pas qu’il soit mauvais, je crois qu’il n’a aucune intention personnelle dans l’histoire et qu’il ne fait que suivre les instructions de Bach à la lettre mais… Je ne sais pas. Je pense que si nous avions Torpède dans notre camp, lui et moi pourrions vous protéger pour le reste de notre mission tant que… Tant que personne ne me rattrape, dit-il en observant Nadia. “Parce que il y a des gens après moi, ça, il n’y a pas d’illusion à se faire là-dessus. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir continuer à fuir.” dit-il en clignant des yeux, comme s’il réalisait soudain la réalité de ces mots, maintenant sur son visage l’expression la plus neutre possible.
Nadia acquiesce d’un hochement de tête, se détourne du cyborg pour ranger les quelques ustensiles utiles trouvés dans le bâtiment et ajoute :
-J’en parlerai avec Medhi et les autres lorsque le brouillard nous le permettra. Elle regarde par la fenêtre. Pour le moment nous sommes bloqués ici… Ce serait peut-être bien de voir ta plaie quand même après les combats que tu lui as fait mener. Tu n’as pas mal ?
Il se détache allègrement de ses pensées: “Si.” dit-il en se retournant pour lui permettre d’inspecter la plaie.
En mettant à jour le pansement, Nadia constate qu’il est ensanglanté et grimace :
-Je crois que la plaie s’est rouverte. Il faudrait te ménager un peu le temps de régénérer tes tissus.
Sous le bandage, le fils de raccordement s’est congloméré à la plaie et elle doit prendre d’infinies précautions pour ne pas tout arracher. Comme elle ne trouve pas de pharmacie dans la pièce, elle utilise de l’eau chaude et découpe des draps propres pour le panser à neuf.
-Voilà ! Mais essaie de ne pas t’approcher de Bach. Dit-elle en souriant à Shawn. Ce serait dommage de te perdre.
Il lui rend son sourire, un peu désolé.
-Merci. Je vais chercher de quoi nous chauffer d’ici à ce que la tempête se dissipe, dit-il en se couvrant de ce qu’il a trouvé comme habillement de rechange.
Il y a des poêles à charbon dans certaines suites et l’étage ne manque pas de meubles en bois.

Du côté du chariot le brouillard a forcé les autres membres de l’expédition à se réfugier dans l’espace restreint du wagon. La proximité continuelle des soirs toxiques pèsent sur les mines fatiguées des quatre hommes restés à veiller le matériel. Karl ressassait la journée mouvementée en mangeant une collation synthétique au goût de ragout de mouton.
-J’espère qu’on ne retombera pas sur des bandits en route. Il soupire bruyamment avant de poursuivre. J’ai vraiment eu peur !
-Tu parles… répond Mehdi d’un air vague, encore secoué par l’attaque et ses conséquences. Il en a oublié de manger et de trier les réserves.
Le frère Prumol, autant secoué que ses camarades, acquiesce vigoureusement de la tête en ajoutant :
-Heureusement que Shawn est arrivé. Quand j'ai vu Gabriella aux mains des bandits j'ai bien cru nos dernières heures arrivées… Cet homme est un don de Dieu. Ne croyez vous pas ?
Medhi s’apprête à parler quand il croise le regard noir de Gabriella. Sans équivoque, elle lui intime de ne pas évoquer l’aspect cyborg au frère qui poursuit :
-Vous avez vu comment il a magnifiquement visé le gars qui tenait Gabriella ! Il a surgi de derrière comme un diable sortirait de sa boite ! Il m’a fait une peur ! J’avoue qu’après je n’ai plus rien vu.
Sous l’assaut des souvenirs Gabriella se met à sangloter. Elle a bien cru sa dernière heure arrivée et ne peut se remémorer la lutte sans trembler de tous ses membres. Le frère la prend par les épaules pour la consoler et ajoute :
-Tout va bien ma petit Gabriella, tu vois bien que Dieu a mis sur notre passage son protecteur. Tu ne crains plus rien. Dieu glisse le long de nos existences des expériences à vivre pour nous rendre toujours plus fort. Tu as terriblement grandi à ses yeux aujourd’hui.
Medhi se lève pour se verser un gobelet d’eau brûlante qu’il tire de la fontaine mise en route quelques instants plus tôt. Il y glisse deux cuillerées de poudre de soupe qu’il remue avec application et propose son verre à Gabriella;
-Tu en veux ? ça te ferait du bien. Cette attaque est en tout cas une bonne leçon pour nous tous. Nous ne devons pas nous écarter seul du charriot et de nos hommes d’armes. Nadia a quand même eu raison en exigeant que nous en ayant deux.


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